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Pendant cent-soixante ans, les maîtres de l'ordre lâchèrent de la Méditerranée aux Indes des tueurs fanatisés dont la patience, l'audace et l'infaillibilité frappèrent tant les esprits qu'une légende naquit: au sommet de son repère, la secte aurait aménagé un jardin des délices où sucreries, femmes et haschisch donneraient aux tueurs un aperçu du paradis que leur mort glorieuse leur réservait173.

Cette imagerie du criminel hagard et sous influence était promise à un bel avenir. Elle s'agrégea sans peine à celle du malade, pour donner naissance à celle de l'aliéné. La compétence exclusive du neuropsychiatre ne pouvait dés lors plus être disputée par les pharmacologues. La notion de dépendance psychologique se fit envahissante: l'assuétude toxicomaniaque ne se mesura plus qu'à cette seule aune et on considéra définitivement que la cause déterminante de la prise de drogue était la fragilité psychologique.

Le vocabulaire de l'aliénisme préparait à l'avènement d'une institution aliéniste, pour prendre en cure les candidats à la désintoxication. L'obligation de suivre une cure, laissée à la discrétion du procureur par la loi de 1970174, devint automatique dans les faits. L'autorité sanitaire pouvant même être saisie directement par un médecin ou une assistante sociale, sans passer par le procureur 175.

Le discours de l'aliénisterenvoie à la structure du vocabulaire moral et religieux. La drogue est décrite comme un péché originel : qui en touche une fois tombe définitivement dans l'assuétude et se retrouve chez les marginaux, retranché du troupeau. Le sauver malgré lui devient alors un impératif qui ne s'accommode guère d'une réflexion sur le moyen utilisé, la logique médicale rejoignant celle de l'Inquisition.

Ainsi, le traitement à l'insuline est une thérapeutique très violente qui fait tomber le patient dans un hébétement profond, un coma debout qui doit lui faire passer le cap du sevrage. Quand au recours à la méthadone, il remplace la violence par le vice car elle peut entraîner une véritable dépendance: ce qui ne la qualifie pas pour autant en drogue mais en "médicament inévitable", l'assuétude étant requalifiée en "dépendance psychologique et institutionnelle"176.

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173A. MAALOUFSamarcandeJean-Claude LattèsParis1988pp. 133-152 174Article L. 355-15 du Code de la Santé Publique
175Article L.355-18 et L.355-19 du Code de la Santé Publique 176Encyclopedia universalisvº Drogue

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