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L'examen de certaines sociétés permet même de supposer une parenté plus
étroite entre interdits alimentaires et sexuels et de les confondre en une notion
indistincte, ce qui laisse penser que la confusion est bien l'état originel des deux notions
d'alimentation et de sexualité.
Ainsi, selon Lévi-Strauss24, il existe dans différentes ethnies (aussi éloignées
entre-elles que les Nuer d'Afrique et les Tikopia d'Océanie) un interdit pesant sur le
mari de consommer les aliments prohibés à sa femme, pour la raison que la nourriture
ingérée contribue à la formation du sperme. Donc, si l'homme agissait autrement, au
moment du coït, il introduirait dans le corps de sa femme de la nourriture prohibée.
De même, la réciproque est observée: chez les Fang, l'intérieur des défenses
d'éléphants est frappé d'interdit de peur que le pénis du consommateur puisse devenir
aussi flasque que les gencives du pachyderme (association par magie sympathique). Par
égard pour leurs maris, les femmes observent la même prohibition sinon elles
pourraient les contaminer durant le coït.
Ce ne sont là que deux exemples de cette analogie très profonde que partout
dans le monde, la pensée humaine semble établir entre l'acte de manger et de copuler,
au point que de nombreuses langues identifient les deux termes25. Les modes
d'expression de cette analogie sont nombreuses et forment des systèmes subtils,
articulés autour du paradigme de l'interdit alimentaire. Ainsi, la violation d'un interdit
peut être assimilée à un cannibalisme symbolique, quand ce n'est pas le châtiment de
cette violation qui se fait au moyen de l'ingestion du coupable.
Le schéma de ce processus d'assimilation peut être décrypté de la façon
suivante: en premier lieu, l'interdit violé paraît être assimilé à un inceste, ce qui
constitue une analogie aisée puisqu'une part non-négligeable des interdits concernant
les seuls empêchements à mariage (étendus aux interdits de fréquentation, de
promiscuité, etc...) et ceux de consommation d'un "objet-totem" (eux aussi largement
extensibles).
Ensuite, l'analogie s'opère encore plus facilement entre inceste et cannibalisme,
dont la proximité a déjà été évoqué. De la transgression au viol, du viol à l'inceste et de
l'inceste au cannibalisme, il y a plus qu'un glissement de sens, une continuité dans la
même notion. Ainsi, si pour les besoins de la cause, nous tentons d'isoler ces
différentes composantes, il ne faut pas oublier que c'est par un abus de rationalité. In
24C. LEVI-STRAUSSLa pensée sauvage1962PlonParisp.129
25Ce qui milite en faveur d'une indistinction originelle.
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