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Ainsi, la secte chrétienne des Barbélognostiques77au IVe Siècle offre un
exemple frappant : dans cette version, comme dans bien d'autres, un principe divin fut
volé et enfermé par un démiurge imposteur dans la prison de la chair. Un fluide vital
qui réside dans le sperme et qu'il faut libérer, pour qu'il soit rendu au dieu véritable
afin de le revigorer et de lui permettre de gagner son combat contre l'imposteur.
Le rituel qui permet cette libération est le suivant: les adeptes festoient avec
excès avant de se livrer à l'orgie, pour produire et extraire le plus possible de fluide du
corps. Après quoi, ils communient avec le sperme comme corps du Christ et les
menstrues comme sang du Christ. Toute la difficulté résidait dans le fait de ne pas
engendrer d'enfants, pour ne pas poursuivre l'oeuvre de l'imposteur.
Lorsque cela arrivait tout de même, ils forçaient l'avortement pour pratiquer une
pâque foetophage où l'avorton est soigneusement mêlé à du miel, des épices et des
huiles parfumées, pour conjurer le plus possible son appartenance à l'humanité et le
rejeter parmi les nourritures.
Le dogme eucharistique est donc clairement le talon d'Achille de cette religion
qui se veut désincarnée et spirituelle mais où la flèche de l'anthropophagie inocule trop
facilement un venin d'autant plus corrosif que le dogme lui-même joue avec le feu, en
imposant l'exégèse de la transsubstantiation à un rituel qui n'avait pas besoin d'une
prise de position aussi embarrassante pour apparaître comme une institution cannibale.
L'eucharistie est le sacrement chrétien le plus important, car il est celui de
l'unité ecclésiale78. Sa structure est claire: il s'agit d'une réfection spirituelle calquée
sur la réfection corporelle79, voire les deux à la fois. La différence étant que l'aliment
corporel s'incorpore, alors que l'aliment spirituel incorpore à lui80. Tout le débat de
l'aliment sacré est ainsi résumé, l'inversion du phénomène constituant la plus grande
crainte.
Dans cette tradition de l'aliment sacré, l'eucharistie est un vrai repas sacrificiel81
en tant qu'elle est commémoration de la Passion et donc du véritable sacrifice que
représente la crucifixion82. La nature sacrificielle étant ainsi explicitement établie, il fut
77J. LACARRIERELes gnostiquesMetailliéParis1991.
78T. D'AQUINSomme théologiqueEditions du CerfParisIII a ParsQuestion 73Article 2. Il est
triple en tant qu'il agrège, qu'il commémore et qu'il est viatique permettant d'accéder à la divinité du Fils.
79Ibid.
80ibid, article 3
81Question 73Article 4
82Ibid, article 4
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