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Cette importance cosmogonique des choix alimentaires se retrouve au niveau de
la vie de la Cité. Ainsi, la broche et le chaudron constituent, avec le couteau, les
instruments solidaires d'une façon de manger qu'Hérodote35inscrit au coeur de la
différence, de l'altérité, qui permet aux Grecs de se penser en regard des autres peuples,
ici des Egyptiens.
En montrant de la répugnance à se servir du couteau d'un Grec, ou de ses
broches ou de son chaudron, parce qu'ils sacrifient et se nourrissent suivant d'autres
règles, les habitants de l'Egypte renvoient une image d'eux-mêmes aux Grecs où le
sacrifice est appréhendé sous son aspect alimentaire.
C'est le premier trait qui justifie la place centrale du sacrifice sanglant dans la
pensée sociale et religieuse des Grecs. L'alimentation carnée coïncide alors absolument
avec la pratique sacrificielle: toute viande consommée est une victime. C'est à dire un
animal égorgé rituellement et le boucher qui fait couler le sang porte le même nom
fonctionnel ( mageiros )que le sacrificateur posté près de l'autel ensanglanté.
Les règles du partage de la dépouille, cause de la brouille avec les olympiens,
suit une étiquette précise: une fois prélevés les morceaux de choix qui représentent la
part de ceux qui ont unhonneurou unedignitéparticulière, le reste est dévolu
égalitairement suivant l'idéologie isonomique de la cité36.
L'égalité devant la viande reflète alors l'égalité devant le politique et se
manifeste par le tirage au sort de parts interchangeables, tout comme le sont les droits
des citoyens dans l'espace circulaire de la cité. Les pratiques alimentaires renvoyant le
sacrifice à la texture politique et au type de rapport social qui s'y trouve impliqué.
La deuxième fonction dont le sacrifice sanglant tire son importance renforce
cette première approche. Il s'agit de la relation nécessaire avec l'exercice du rapport
social, à tous les niveaux du politique: aucun pouvoir politique ne peut s'exercer sans
pratique sacrificielle
L'entrée en campagne, l'engagement avec l'ennemi, la conclusion d'un traité,
les travaux d'une commission temporaire, l'ouverture de l'assemblée, l'entrée en
"il n'y a pas de moyen d'étouffer le cri de ce ventre, ventre maudit qui nous procure tant de maux" XVII,
287-288
"maudit triste ventre qui donne aux hommes tant de mal !" XVII, 474-475
"le ventre, ce malfaiteur" XVIII, 54
35HERODOTEHistoiresLa DécouverteParisII, 41
36PLUTARQUE, Questions de tableII, 10, 642f-643e
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