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L'exemple du Laudanum153de l'anglais Thomas Sydenham est frappant:
proposé dès le XVIIe Siècle, ce mélange d'opium, d'alcool et de safran parfumé à la
cannelle ou au girofle, connut une fortune foudroyante au XIXe Siècle, notamment en
France.
Toutes les couches sociales l'affublèrent d'un nom adapté à leur propre
mythologie. Pour les bourgeois, le Laudanum est un symbole du progrès scientifique et
industriel; les artistes, gros consommateurs, préfèrent l'appellation plus poétique de
"teinture d'opium safranée"; quant aux journaliers, ils ne connaissent que "l'eau
Danum", associant la substance sacrée à la langue du sacré.
Même si de telles préparations pharmaceutiques sont particulièrement
onéreuses, les bourses trop modestes se vident tout de même chez le pharmacien pour
l'achat de quelques graines de pavot, plus abordables. L'intoxication de la société était
généralisée, métastasée jusqu'au nourrisson qui dans son biberon marchait lui aussi à
l'opium154.
Tandis que dans les sphères politiques on redoute l'explosion sociale, la
première réaction face à la toxicomanie ambiante est l'indignation. Cependant, seul
l'alcool est stigmatisé155: l'exploitation des enfants, les conditions de vie, d'hygiène, la
promiscuité, les moeurs dissolues... sont la conséquence de l'alcoolisme des masses.
L'empoisonnement pharmaceutique en série touche de trop près les parties les plus
aisées de la population pour être blâmable.
La morale se fait alors charité et la lutte commence dans les pays anglo-saxons.
Les ligues de tempérance s'organisent, secondées par des prêcheurs adaptant la doctrine
chrétienne à leur message moralisateur et jetant les bases de toutes les campagnes
ultérieures.
En Irlande, en Angleterre et aux Etats-Unis où la religiosité est particulièrement
imprégnée de l'idéologie du péché et de la chute, on jure devant Dieu de ne plus
toucher à l'alcool. Ainsi, entre 1838 et 1841, la consommation d'alcool baisse de 60 %
dans la seule Irlande156... tandis que les indices de la consommation d'éther explosent et
que ceux des opiacés progressent encore.
153Son nom (magnifiquement latin) signifie:"celui que l'on loue"
154Et aux pillules calmantes miracle : Schlaffhonig, Hauptpille, etc....
155"ABSINTHE--Poison extra-violent: un verre et vous êtes mort. Les journalistes en boivent pendant
qu'ils écrivent leurs articles. A tué plus de soldats que les Bédouins."G. FLAUBERT, loc.citp.7
"ALCOOLISME --Cause de toutes les maladies modernes. Ibid. p. 10
156Le dragon domestique: loc.citpp.49-50.
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