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tabous, sa femme et ses enfants. Bref, il est le mort, du moins "juridiquement". Et cet intérim peut durer pendant une vingtaine d'années.

Puis, un jour, l'ancien prisonnier est capturé, exécuté et sa chair partagée suivant un rituel qui tient de l'étiquette entre tous les membres de la tribu29. Et ce sans qu'il ne lui vienne à l'idée de s'enfuir, son destin lui étant inéluctable du jour de sa capture. Il fait seulement preuve de la plus grande bravoure possible en maudissant généreusement les agresseurs et en se défendant.

Si nous nous plaçons de nouveau à un niveau symbolique, cette capture est la suite immédiate de la première; c'est à dire qu'entre le moment où il était acquis que la capture était inéluctable et celui de la seconde capture, il y a comme une faille temporelle durant laquelle la vie s'écoule comme si la bataille n'avait jamais eu lieu.

L'endophagie funéraire permet d'expliquer ce curieux phénomène de cannibalisme brutal envers un étranger parfaitement intégré30. Cette seconde forme de cannibalisme (si on excepte le sacrifice humain) relève de la question du sort à réserver la dépouille de celui qui a cessé de vivre. Que faire du mort qui laisse au groupe un corps si encombrant, comment gérer cette chose ?

La réponse occidentale traditionnelle a longtemps été (avant la vogue de la crémation) de le faire manger par (ou le réintégrer à) la Terre-Mère. Certes, la réponse n'était pas formulée ainsi, mais cela en est le sens. Dans les groupes de chasseurs- cueilleurs auxquels s'intéresse l'ethnologie, la révolution agraire du néolithique n'a pas pu induire une telle pratique. Au contraire, on y retrouve une pratique plus ancienne, quia peut-être fondée la nôtre: faire manger la dépouille (ou la réintégrer) au groupe.

Ainsi seule la dépouille qui a déjà été entamée par un autre groupe échappe à l'institution endocannibale, ce qui n'ouvre que deux alternatives: récupérer dans cet autre groupe une dépouille équivalente (morte de la même manière) ou mieux encore, récupérer le mort pour qu'il finisse une durée jugée normale de vie avant de décider qu'il est temps pour lui d'être vraiment mort31.

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29Excepté son bourreau, quide plus doit observer un jeûne strict dans les jours qui suivent, un "jeûne cannibalique" de pénitence pour apaiser l'âme du mort.
30Bien que l'orthodoxie ethnographique relève qu'endophagie et exophagie ne se rencontre jamais simultanément dans une même tribu.
31C'est à dire civilement mort et non physiquementement mort.

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