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couronner le tout : faire repousser par le Sénat la loi de contrôle sur l'importation
des viandes de porc américains que la Chambre avait votée.


Aussi les manoeuvres amorcées à la publication des résultats du Laboratoire
municipal, les hygiénistes le pressentaient, n'auraient pas de meilleure parade que
l'étalement au grand jour des évaluations fiscales de la fraude. Première denrée
visée, c'est l'évidence : le vin. Dans les documents du Journal Officiel sur le régime
des boissons de 1883, les chiffres sont impressionnants.

A la question de savoir quelle était la quantité de vins et d'alcools qui échappait
tous les ans à l'impôt, de très nombreuses institutions (comices agricoles, sociétés
d'agriculture, syndicats, chambres de commerce , préfets) avaient répondu qu'elles
étaient très importantes. Soit par exemple : moitié sur les alcools, un quart sur les
vins rien que pour le département des Vosges. Dans l'Yonne : un quart sur les
alcools et un tiers sur les vins. Or, parmi les très nombreux procédés employés par
les commerçants pour éviter le paiement des droits, le mouillage, les coupages et les
falsifications étaient à l'honneur.

Mobilisés par Léon Say, des financiers vont lutter aux côtés des hygiénistes
pour empêcher les fraudeurs de continuer à voler le Trésor. Le regroupement de ces
éparses et hétéroclites énergies mettra un quart de siècle à obtenir en partie
satisfaction avec la loi de 1905 sur la répression des fraudes.

A lire les revues des hygiénistes et leurs différents travaux, une ambiguïté
s'installe et elle est si grande qu'on finit par se demander dans quel monde absurde
ils vivaient. Constatant les dégâts sanitaires causés par les falsifications, mettant le
doigt sur un péril financier reconnu par tous, pourquoi ne les écoutait-on pas plus ?
Et surtout : que n'avaient-ils en mains les lois ? Or ces questions sont le résultat
logique de leurs efforts polémiques et de leur habileté à construire, dans un
territoire nouvellement disponible, une dogmatique qui conjugue la solidité d'une
technique avec la magie de personnages non identifiés et non identifiables qui ont
commerce avec la divine Science.

Aux confins de la pureté, la bonne matière, la bonne science et la bonne
politique s'amalgament et plombent le cerveau du lecteur pour l'obliger à penser
droit. C'est que de la normalisation des corps à celle des conduites et des pensées,
le pas est très vite franchi. La méfiance et la résistance à l'égard des chimistes,
premiers techniciens de l'hygiène avant l'arrivée fracassante et concurrente des
bactériologistes, a été souvent signalée au cours de cette étude. Elle semble être à la
mesure de la résistance instinctive que l'on éprouve devant l'élaboration pénible
mais inéluctable d'une normalisation dont les critères relèvent d'un savoir spécialisé
qui, nous échappant, pourra diverger, fuir tout contrôle et dessiner à l'horizon, la
perte non contractuelle de la liberté.

Le médecin éclairé

Il donne à ses concitoyens des explications sur
les phénomènes de la nature ; il les instruit sur les
maladies du bétail, sur celles des blé: il leur
apprend, dans des temps de disette, à substituer un
aliment ou une boisson à une autre ; que de
superstitions, que de maux ne prévient-il pas ! Il
exerce donc à la fois une magistrature, un sacerdoce,
un enseignement ; et lorsqu'il arrrache des milliers
de victimes à une mort certaine, il est l'ange
tutélaire qui triomphe de l'ange exterminateur. 383

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383FODERE, Dictionnaire des sciences médicales, art. Médecine Légale, tome XXVII, p. 379.

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