Pour le lait, le souci de pureté bactériologique a facilité la répression des
falsifications et le système de surveillance des points névralgiques (production et
commerce) s'est progressivement intensifié. Armés de lacto-densimètres, les
contrôleurs opéraient souvent dans les gares où arrivaient des trains spéciaux
chargés du lait pompé dans la nappe qui environnait Paris à plus de 80 km en
1900 341. Ailleurs, le contrôle n'était pas sans danger et les conducteurs de
voitures de transport du lait, qui avaient souvent des complices armés de pots d'eau
avec lesquels ils frelataient le lait chemin faisant 342, montraient, quand ils ne
prenaient pas la fuite, quelque résistance à l'autorité. Très vite, les fraudeurs surent
se servir du lacto-densimètre et créer des densités artificielles. Le docteur Icard, qui
s'était déjà illustré dans la recherche d'un moyen simple, à la portée de tous, pour
reconnaître les signes de la mort réelle fit la même chose pour la falsification du
lait 343. La grandeur d'une auréole laissée par du lait caramélisé sur du papier
cloche devait indiquer la quantité de beurre contenue et dénoncer les fraudes 344,
jusqu'à ce que les falsificateurs inventent un procédé pour le neutraliser...
C'est que la lutte entre l'expert chargé de détecter les fraudes et les falsificateurs
était intense et tous les procédés étaient bons à ces derniers pour s'informer des
progrès de la bonne science. Quelquefois les auteurs de traités sur les falsifications
étaient même accusés de leur donner des idées : "J'avoue que je doute beaucoup de
la réalité de certaines falsifications signalées par divers auteurs, et que rapporte M.
Chevallier par exemple, celle du chocolat par le sulfure de mercure pour lui donner
du poids ; du blanc de baleine par le gras du cadavre ; l'emploi de l'urine pour
donner au fromage une odeur ammoniacale. Il est utile de faire connaître les
fraudes, mais il faut se garder d'indiquer aux fraudeurs des moyens qu'ils
ignoraient ou auxquels ils ne songeaient pas, et, dans tous les cas, de signaler
comme réalisées des tentatives qui n'ont pas de réalités. Sans doute on pourrait,
avec un peu d'imagination, multiplier presque indéfiniment les modes de tromper ;
mais croirait-on faire chose réellement utile en les décrivant?" 345
Les savants ne s'épargnaient pas et menaçaient de dénoncer les brebis galeuses:
"Nous pourrions citer des hommes, ayant des connaissances très étendues, qui ne
se sont pas fait scrupule d'aider de leurs lumières les fraudeurs qui les consultaient.
Déplorable usage de la science, qui ferait rougir pour elle, si elle ne devait conduire
qu'à de semblables résultats : heureusement qu'entre les mains des hommes
consciencieux, et ils forment une masse immense, elle fournit les moyens de les
reconnaître et de les combattre." 346C'est que les prospectus qui faisaient de la
réclame se vantaient souvent de l'approbation de grands chimistes et ceux-ci se
faisaient quelquefois exploiter d'une façon qu'ils n'avaient pas prévue. Ainsi le
341cf.H. MARTEL, "Production et contrôle sanitaire du lait destiné aux parisiens", HPML,
XVIII, (1912), p. 344.
342Les cachets qui servaient à sceller les boites pour faire obstacle à la fraude, étaient détachés
avec un couteau chauffé. cf.O du MESNIL, "La surveillance du lait à Paris", HPML,VIII, (1882),
p. 305.
343Dr. ICARD (de Marseille), "Un autre procédé rapide d'expertise du lait et des fromages.
Procédé vulgaire à la portée de tous applicable à l'examen du lait des nourrices", HPML, XXXIV,
(1920), p. 257.
344Le mouillage accompagnait souvent l'écrémage car un lait écrémé a une densité supérieure à
celle du lait riche en beurre. Le fraudeur est ainsi en quelque sorte obligé d'y ajouter de l'eau pour
rétablir la densité initiale. cf. Dr. E. GAUJOUX, "Inspection du lait. Recherche de fraudes,
écrémage et mouillage", Journal des praticiens, (1908), nº41, p. 710, reproduit in HPML, XI,
(1909), p. 181.
345H. GAULTIER de CLAUBRY, HPML, XLIII, (1850) p. 468 à propos de la sortie du
Dictionnaire des altérations et falsifications des substances alimentairesde A CHEVALLIER.
Il serait bien étrange que ce dernier ait inventé ou donné de tels renseignements sans les avoir
vérifiés.
346Id., p. 467.
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