mains des diverses inspections, quand elles existaient (ce qui n'était pas souvent le
cas en province). Les hygiénistes lutteront pour obtenir que ces inspecteurs soient
nommés par le gouvernement avec un titre qui leur donnerait les pouvoirs d'un
officier de police judiciaire 373. Mais la mésentente sur la notion même de
falsification entre juristes et hygiénistes bloquait toute évolution efficace. Les
hygiénistes pensaient que tout produit alimentaire contenant une substance étrangère
à sa composition naturelle ou une trop forte proportion d'un de ses composants était
falsifié, alors que les tribunaux suivant, comme ils le devaient, la loi au pied de la
lettre estimaient que tout ce qui n'était pas évidemment nuisible à la santé
n'entrainait pas de falsification. Il fallait des accidents immédiats et suffisamment
graves pour que la justice punisse les fraudeurs. Autre mésentente sur les
définitions, le parquet se refusait à poursuivre les falsificateurs de produits de
fabrication et ne s'en prenait qu'à ceux qui sophistiquaient les produits dits
naturels. Ainsi les tribunaux de Bordeaux ont-ils laissé impunis ceux qui
fabriquaient des vins de toute pièce alors que ceux qui falsifiaient le vrai vin
subissaient leurs foudres. Arabesque d'un autre genre, la loi de 1902 précisa en son
article 53 "Sera puni d'une amende de 5OO francs (...) quiconque (...) aura
sciemment exposé, mis en vente ou vendu des produits alimentaires mélangés des
substances prévus à l'article 49." Il est vrai que certains produits étaient très
difficiles à détecter et demandaient une véritable recherche de laboratoire 374. Aussi
la loi avait-elle voulu protéger les commerçants de bonne foi qui n'avaient pas les
connaissances nécessaires pour faire cette détection. L'omission dans le texte de
1902 de la présomption de mauvaise foi (présente dans une loi antérieure de 1897)
mettait ainsi à l'abri tout les commerçants ignorantsutilisant des adultérateurs
difficiles à déceler. La loi sur la répression des fraudes de 1905 remédia à cette
faiblesse en punissant la récidivede ces fraudes savantes (art. 5).
Les falsificateurs, cependant, n'étaient pas tous ignorants et profitaient par
exemple de la diversité des législations nationales. Interdits dans un pays, leurs
produits passaient aisément les frontières. Aussi les hygiénistes n'auront-ils de
cesse, à chaque congrès d'obtenir une loi internationale sur la fraude. Les revues
internationales des falsifications (la première date de 1886), se font une spécialité
du genre et poussent les divers gouvernements à s'entendre sur la répression des
falsifications comme ils y réussirent en 1898 pour empêcher la propagation des
maladies contagieuses des animaux 375. En 1910, le deuxième congrès
international pour la répression des fraudes tenta de mettre au point un Codex
alimentarius, sorte de code de l'hygiène internationale et des usages locaux du
commerce et de la production. Certains tribunaux, déjà, s'étaient appuyés sur des
décisions d'un précédent congrès à Genève pour trancher des litiges qui leur étaient
soumis et les hygiénistes espéraient qu'en mettant au point un code international ils
influenceraient plus fortement la jurisprudence. Mais l'approche de la première
guerre mondiale privilégia des ententes d'un tout autre genre. Comme les autres
épisodes guerriers, la nouvelle "grande guerre" 376favorisa la fraude non pas,
comme on pourrait le penser, parce que cette surveillance était moins urgente, mais
parce que pendant les situations de pénurie, les moyens d'exploiter au mieux les
ressources et les inventions de ressources elles-mêmes sont encouragées par le
pouvoir. Toutes les personnes ayant vécu ce tragique épisode ont en souvenir
l'épouvantable pain KKet le manque, désormais classique des guerres, en vrai
café. Sans parler du reste moins symboliquement marquant, tout aussi malfaisant et
que les hygiénistes ont accusé de débiliter terriblement les nombreux organismes
que la grippe espagnole a fauchés en 1917.
373La grande loi sur la répression des fraudes de 1905 ne leur a donné, on l'a vu que partiellement
satisfaction.
374C'était par exemple le cas de la saccharine dont l'emploi était interdit depuis 1902.
375Matière constamment pionnière dans le domaine sanitaire, cf loi du 21 juin 1898 sur les
épizooties.
376Rappelons qu'on avait aussi appelé "grande guerre" celle de 1814.
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