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grand Chevallier qui avait donné sa caution à un procédé de coloration des draps,
l'a-t-il vu, à sa grande surprise, appliqué à la coloration des vins.
347

Parfois les gendarmes avouaient leur essoufflement dans la course aux voleurs :
"Bien souvent un produit se glisse dans nos aliments, avant que nous ne soyons
capables, chimistes, d'en déceler à coup sûr, rapidement, par des procédés
pratiques la nature et surtout la dose ; médecins, d'en affirmer l'innocuité ou le
danger.
"Pour sortir d'une semblable situation, il nous faut redoubler d'efforts, suivre
les inventeurs de denrées artificielles à la piste et sous peine de demander une loi
des suspects applicable aux choses heureusement et non aux personnes, arriver
assez tôt pour ne pas trop rappeler le "pede claudo" de la vieille Thémis, devenue
bien impotente en face des falsificateurs."
348

Pendant longtemps la police alimentaire avait fait appel aux pharmaciens pour
dépister les fraudeurs et dans le tome inaugural des Annales d'hygiène publiqueet
de médecine légale
(1829), Barruel suggérait même à l'autorité de "commettre,
dans chaque quartier, un ou deux pharmaciens"
349pour analyser le lait des laitières
des rues. En 1840, le Conseil Général des Hôpitaux de Paris fit appel aux
pharmaciens des hôpitaux pour qu'ils trouvent un moyen de mieux apprécier la
qualité du lait qu'on y (recevait).
350C'est que si les lois des 14 décembre 1789 et
du 28 septembre 1794 donnaient aux municipalités tout pouvoir en matière
d'hygiène, peu en faisaient usage et quand en 1848 les Conseils d'hygiène et de
salubrité s'installèrent dans chaque division administrative
351, on leur permit
expressément de "donner leur avis sur les qualités des aliments, boissons,
condiments et médicaments livrés au commerce"
352. Mais ces Conseils n'avaient
pas l'initiative et leur subordination à des administrations souvent irresponsables et
incompétentes réduisaient leur rôle au minimum. Ils n'étaient, dans bon nombre de
cas, même pas convoqués aux séances réglementaires. Le financement insuffisant
(58 690 francs pour toute la France) en 1880 ne permettait qu'un fonctionnement
bien souvent symbolique et il n'était pas question de pouvoir investir dans des
laboratoires d'analyses où il aurait fallu rémunérer des chimistes experts. Certaines
villes cependant, devant la progression foudroyante des abus, commençaient à
s'équiper tant bien que mal. Ainsi à Paris, l'idée qui avait présidé à la création du
Laboratoire municipal de chimie, était de permettre à chacun, moyennant une faible
somme, de s'assurer si son vin était ou non artificiellement coloré. Ceci n'avait pas
été obtenu sans lutte car la surveillance des denrées alimentaires appartenait déjà à
plusieurs services administratifs. Ainsi la boulangerie, la boucherie et la volaille
avaient déjà leurs inspecteurs spéciaux "auxquels leur longue pratique donnait une
sûreté d'appréciation à laquelle les notions chimiques ajouteraient peu de chose"
353. L'épicerie était sous la haute et savante surveillance des professeurs de l'Ecole
de pharmacie et bien des laboratoires privés ou publics, dirigés par des hygiénistes
étaient au service de l'Administration quand elle désirait des analyses ou des
conseils.

Dans la pratique, les choses se passaient ainsi pour le vin : le commissaire de
police prélevait tous les jours au hasard
354deux demi-bouteilles de vin dans son

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347A. CHEVALLIER, "Sur l'examen chimique des vins considérés sous le rapport judiciaire"
348BROUARDEL, S.M.P. séance du 24 janvier 1883 (discours) reproduit in HPML, IX, (1883),
p. 274.
349BARRUEL,op. cit., p. 418.
350T. A. QUEVENNE, "Mémoire sur le lait", HPML,XXVI, (1841), p. 5.
351Voir en introduction générale la présentation des structures hygiéniques.
352Décret du 18 décembre 1848.
353O. du MESNIL, "Le laboratoire municipal de la Ville de Paris", HPML, V, (1881), p. 196.
354Avec ce système, beaucoup de débits échappaient à la surveillance et les mieux surveillés
l'étaient une fois par an (ils étaient extrêmement nombreux).

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