au grand jour et on en faisait de la réclame 285. En France, des brevets d'invention
pour ces machines sont encore déposés sous le Second Empire 286.
Dans une société où les ventres ne préoccupent que par le va et vient
problématique dont ils sont le théâtre parfois révolté, les piliers alimentaires de la
restauration plastique et respiratoire sortent de leur monolithisme replétif et se
compliquent comme à plaisir des différentes substances étrangères que la fraude y
introduit. C'est que le plaisir, justement, dirige les falsifications et les fait perdurer.
le savoir-plaire
Au delà du plaisir du fraudeur, qui fait une sorte de farce fructueuse, celui du
consommateur est divers et si naïf qu'on peut quelquefois se demander s'il n'a pas
un certain bénéfice complexe, en écume de celui de l'autre qui le tond.
Généralement, c'est l'évidence, quand on achète un produit de qualité
médiocre, le seul avantage est de le payer moins cher. Pour le lait, on savait à
l'époque où était le bon et où était le mauvais. Celui des rues, à moitié prix, se
vendait très bien. Il avait sa clientèle, celle qui déjeunait en bourgeois, mêlant du
blanc dans son faux café noir. Les couleurs, déjà, viennent tout compliquer. Au
XIXème siècle, elles sont une obsession. Le lait c'est du lait si c'est blanc (on y
mélangeait même des cervelles pour le frauder, où était l'avantage ?). Les légumes,
on l'a vu pour les conserves, même cuits, ils sont verts, verts acide. Pour le vin,
c'est clair : le rouge doit briller et le blanc trafiqué jusqu'à ce qu'il soit pâle, aussi
pâle que possible avec une pointe de douceur. Les chimistes savent faire cela, que
ne savent-ils pas, l'exigence de la demande est à la mesure exacte de leurs
capacités. Et de fabriquer des bouquets, le mot lui-même n'est-il pas du domaine du
plaisir ? Bouquets qui rappellent leur buveurdit-on dans la drinking culture 287...
Rappeler, c'est un souci pour le falsificateur. Jamais il ne veut jouer les
empoisonneurs et s'il le devient c'est malgré lui. Beaucoup croient réellement être
utiles à la société en travaillant leurs produits. Ainsi les brasseurs de bière qui
substituent à l'orge du sirop de fécule de pomme de terre, croient-ils être la source
"d'un perfectionnement qui tourne au profit de la classe pauvre, puisque, d'une
part, il lui reste plus d'orge pour sa nourriture ; et que, de l'autre, elle boit de la
bière à meilleur marché qu'autrefois." 288Sans doute ont-ils en grande partie
raison et les procédés inventés pour multiplier une production très insuffisante ont-
ils épargné bien des émeutes mais cela a été fait au détriment de la santé générale.
Entre les crevettes teintes au minium 289et les pâtes que le consommateur veut
jaunes comme l'or et que les colorants dérivés de la houille lui offrent à foison à la
Belle Epoque, les falsificateurs recherchent toujours le bon marché et dans les
colorants chimiques, c'est ce qui va déterminer leur choix. Cette loterie n'est pas
toujours inoffensive et les hygiénistes, puritains et purificateurs vont veiller à
dénoncer les dangers et, par là même, rationaliser les chemins du plaisir.
A côté de cette recherche forcenée et forcée du "meilleur marché", la recherche
du tout faitalimentaire qui épargne non seulement le temps des ménagères mais
285BROUARDEL, ibid.,p. 726.
286A. CHEVALLIER, "Du café, etc...", HPML, XVII, (1862), p. 42.
287Expression de Susanna BARROWS (University of Berkeley)
288BARRUEL, "Rapport à M le Préfet de police sur l'analyse d'une bière que l'on croyait
falsifiée", HPML, X, (1833), p. 79.
289GUERARD, "Note sur les salicoques teintes au moyen du minium", HPML, XVI, (1861),
p. 360.
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