1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

A la fin du XIXème siècle, les éthers oenanthiques et pélargoniques sont
fabriqués artificiellement par les chimistes et à l'institut autrichien de
Klosternenburg on apprend à contrefaire tous les vins par des procédés chimiques
de synthèse.

C'est sans conteste la proximité de procédés de vinification avec l'activité
chimique qui est à l'origine de l'importance de la fraude sur ce produit. Dans les
revues d'hygiène, les articles qui en traitent sont les plus nombreux. Mais bien que
le vin soit sous haute surveillance, l'avance technologique des fraudeurs
271sur les
chimistes honnêtes, qui n'opèrent qu'après coup, et l'importance économique et
symbolique de sa consommation, les mettent à l'abri des attaques frontales. Les
interdictions sont, en plus, toujours assorties de délais de tolérance arrachés aux
ministres par le lobbypuissant des producteurs et des commerçants, et cette quasi-
impunité n'a fait qu'accroître des penchants qui sont devenus, en ce domaine,
comme une seconde nature.

En dehors du lait et du vin, il est un liquide qui, au XIXème siècle, fait une
formidable percée et appelle avec encore plus de naturel à la sophistication, c'est
l'eau minérale. L'épicentre des affaires frauduleuses se situe au tournant du XXème
siècle mais dès 1885, des médecins, frappés de l'inefficacité et dans certains cas de
la nocivité des eaux qu'ils prescrivaient, éveillèrent l'attention du Laboratoire
municipal de Paris. Celui-ci fit procéder à ses habituelles analyses d'échantillons et
découvrit que pour une même eau on pouvait trouver jusqu'à 24 compositions
différentes. Plusieurs sortes de fraudes étaient alors pratiquées : la fabrication
synthétique d'eau minérale 
272qui se faisait parfois avec l'eaude la Seine ou de
l'eau stagnante des puits ; la minéralisation au pinceaufaites par les compagnies
concessionnaires d'eaux minérales dont le filon s'épuisait et qui délivraient alors
des étiquettes qui seules étaient authentiques ; et sa variante : la captation directe
quand le filon était tari, par canalisation souterraine jusqu'à une nappe voisine. ce
qui fit dire à un journaliste du Tempsque "si les industriels (...) ne nous font pas
boire de l'eau de fumier, ce n'est pas parce qu'une autorité quelconque s'opposerait
à une fantaisie aussi extravagante, mais c'est sans doute parce que cette eau est
aussi rare que celle des sources fameuses dont le débit fournit pourtant, d'après les
prospectus, de quoi désaltérer toute la terre." 
273

Cependant, les trafics, généralisés en raison de l'extrême facilité et de la tardive
impunité de cette fraude, se portaient surtout sur les eaux purgatives espagnoles. La
France étant naturellement pauvre en cette matière et la demande étant toujours très
forte, des solutions salines purgatives étaient alors préparées frauduleusement dans
certaines pharmacies où on les baptisait de noms espagnolisés. 
274On pouvait
même trouver chez des épiciers, des crémiers ou des charbonniers, des eaux


IMAGE Imgs/guilbert-th-1.2.401.gif

271"Le grand changement qu'a éprouvé le commerce des vins, c'est que le propriétaire travaille
aujourd'hui le vin" nous dit J. A. PABST, "Recherches des dérivés ozoïques dans les substances
alimentaires", HPML, VII , (1882), p. 63. A la suite des ravages philloxériques les fraudeurs
avaient inventé une matière colorante dite colorant introuvable à l'analyse, qui comme la matière
naturellement colorante du vin, verdissait en présence des alcalis et qu'aucun réactif de l'époque ne
pouvait isoler. En 1883, le procédé de détection enfin trouvé permit de saisir à Lyon 2800 hl.
Trois cents procès-verbaux furent dressés et "les prévenus des diverses régions de France défilèrent
pendant près de deux ans, deux fois par semaine, devant le Tribunal correctionnel", E. KOHN-
ABREST, op. cit., p. 164.
272Pour mieux tromper les chimistes, le fraudeurs iront jusqu'à y faire fondre des pastilles qui ont
la même composition que l'extrait d'eau minérale à imiter. Cf."La falsification des eaux
minérales", HPML, XXIV, (1890), p. 270.
273Id., p. 272 (l'auteur de l'article du Temps du 23 juillet 1890 reproduit n'a pas été indiqué).
274E. BONJEAN (chef du laboratoire du CCHPF), "L'exploitation des eaux minérales purgatives
au point de vue de l'hygiène.", HPML, XVIV, (1900), p. 33.

121