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aussi l'investissement en matériel culinaire et surtout en combustible, favorise la
fraude. L'hygiéniste abasourdi par ce qu'il attribue un peu vite aux conséquences
du féminisme arrête le char du temps pour que son lecteur mesure les dangers que
court la civilisation : "Nous demandons sincèrement au lecteur qu'il veuille bien
arrêter son esprit à ces considérations et saisir l'ironie résidant dans ces simples
mots que les épiceries font flamboyer à toute heure du jour : Potages en rouleau,
soupes en boîte, bouillons en flacon (!?)." 
290

Les blanquettes de veau, le canard aux navets, les côtelettes de veau sauce
financière ne sont pas réservés aux classes moyennes ou aisées. "Dans les quartiers
populeux, le fruitier, le tripier, sont des approvisionneurs précieux et empressés :
moules frites, haricots, artichauts cuits de l'avant-veille, côtelettes de porc froides et
anciennes, etc., se dressent aux devantures, malgré les réglements de police
sanitaire tentant de surveiller ce commerce." 
291

Et voilà que face à cette floraison de bouillons de culture se dresse le "demi-
savant" qui, craignant le microbe, va demander du stérilisé. Des industriels, aidés
de vrais savants, vont lui en fournir, au mépris des bactéries utiles et à prix d'or.
Voici le portrait de "l'hygiéniste en chambre", aïeul émouvant des actuels
consommateurs de "biologique".
"Tout le monde connaît les traits principaux de ce réformateur des moeurs. Mr.
X... fait de l'hygiène comme M. Jourdain faisait de la prose. En ville, il s'informe
soigneusement de l'origine des eaux de table, refuse la salade dans l'ignorance de
son lavage ; le fromage, résidu fermentescible est l'objet de son aversion ; parce
que quelques huîtres parquées en eau vaseuse ont révélé l'existence du bacille
d'Eberth, notre homme s'abstient de consommer ce savoureux et nutritif
mollusque.
La viande de porc lui est interdite, crainte de trichinose, de ladrerie.
"En villégiature, l'hygiéniste voyage avec sa taie d'oreiller et ses serviettes
particulières.
"Seulement il semble ignorer que journellement des tuberculeux rencontrés
dans la rue, l'omnibus, infectent l'air qu'il respire, et que certains bacilles
pathogènes habitent normalement sa salive.
"Pour être logique, l'hygiéniste en chambre devrait vivre avec un tampon
d'ouate devant les orifices naturels, passer à l'autoclave ses fruits, ses hors-
d'oeuvre. Souhaitons que l'avenir nous préserve de ces moeurs nouvelles et qu'une
éducation plus normale mette au point ces craintes chimériques ; les temps
prochains préparent certes la revanche du microbe et l'estimation plus exacte du rôle
de ces auxiliaires indispensables de l'existence, utiles ou néfastes, selon les
espèces, les heures ou les états." 
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  1. Au bonheur de Lucifer : gros et détail


En 1844, rue des Potiers d'Etain, on rajeunitles haricots fanés. Glanés à bas
prix dans les magasins, on efface leurs rides en les jetant dans une cuve d'eau
bouillante qu'on recouvre soigneusement de plusieurs couvertures de laine,
économie de combustible oblige. Puis, après quelques heures, on les plonge dans
l'eau fraîche avant de les essuyer délicatement, toujours dans des couvertures de


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290P.DIFFLOTH, "Comment on se nourrit aujourd'hui", HPML, III, (1905), p. 19.
291Id., p. 20.
292Ibid., p. 21.

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