de carottes, betteraves et enfin : chicorée dont on constate dans les régions
nordiques un emploi encore très répandu et qui connut là son origine.258
Voué à la falsification depuis des siècles, le poivre, toujours très cher et
longtemps utilisé pour aider à la conservation des viandes, est trafiqué à la manière
du café mais avec plus de succès, si l'on en croit les chimistes : "le génie des
falsificateurs de poivre est inépuisable"259et dans une saisie opérée en 1889 en
Belgique, sur vingt cinq échantillons, deux seulement n'étaient pas fraudés.
Toute aussi traditionnelle, la falsification des beurres est depuis longtemps
réprimée et une ordonnance du XVIIème siècle qui en répète d'autres plus
anciennes, contient les précisions suivantes : "Sont faites inhibitions et défenses à
toutes personnes de regratter , repétrir et patrouiller aucun beurre, soit frais ou salé,
le charger, mixtionner, n'y mesler en aucune sorte et manière que ce soit, à peine de
fouet ; et pour obvier aux plaintes qui se font journellement et pourraient être faites
à l'avenir contre les dits patrouilleurs et patrouilleuses de beurre, défenses leur sont
faites d'exposer en vente, ni débiter aux halles, marchés ni autres lieux publics, par
les rues, aucun beurre patrouillé, à peine de confiscation d'iceluy, de cinquante
livres parisis d'amende et de punition corporelle." 260
Au XIXème siècle les patrouilleurs ne connaissant plus de frontières, importent
à vil prix d'Amérique des quantités de graisses animales. Cependant, ces
importations massives donnaient quelquefois l'éveil au parquet qui faisait alors
saisir des échantillons pour analyse. Ainsi un gros marchand de beurre, épinglé par
la justice à cause de son commerce suspect avec le Nouveau Monde, divulgua-t-il à
l'audience, la recette de beurre des Alpes qui faisait jusque là sa fortune : "Pour
faire du beurre des Alpes, on prend 50 pour 100 de beurre de Bavière, 53 pour 100
de graisse de porc et 15 pour 100 de graisse de boeuf ; on colore le tout avec du
safran ou du curcuma ; on fait le mélange à chaud ; on le laisse reposer pendant dix
heures et on livre à la consommation un beurre parfaitement sain." 261Ce Brillat-
Savarin de la tromperie exerçait son métier de façon inoffensive. D'autres, comme
lui, remettaient en usage des graines et des racines qui avaient longtemps fait partie
de la panoplie alimentaire humaine. On entrevoit quelquefois dans les listes
invraisemblables des produits adultérants, les traces laissées par le Moyen-Age ou
par le grand développement de la botanique des siècles précédents et l'imagination
s'envole dans ces jardins ressuscités où la tromperie artistique, forte du rocou, de
l'orcanette et des calices d'alkékenge, s'évertue à gommer la rareté pour le bien-être
des hommes et le plus grand profit de ses auteurs.
Les irrésistibles
Si les fabricants de vin sans raisin, de bière sans orge et sans houblon, de
beurre sans lait et de confitures sans fruits occupent une sorte de trône dans l'art de
258M. J. GIRARDIN (professeur de chimie à Rouen, membre CHS Seine Inférieure), "Rapport
sur une poudre destinée à remplacer le café", HPML, XI, (1834), p. 96.
259A. ANDOUARD, "Falsification du poivre par le galanga", Archives médicales belges, cité in
HPML, XXIV, (1890), p. 551.
260Ordonnance du lieutenant civil sur la police générale de Paris du 13 mars 1635. Renouvelée
par arrêté le 22 février 1691, on y ajouta la défense de mixtionner le vieux beurre avec le nouveau
et d'employer la fleur de souci ou autres herbes et drogues pour lui donner de la couleur. cf.E.
NEYREMAND (Conseiller à la Cour de Nîmes), "La falsification du beurre", HPML, XVII,
(1887), p. 46.
261NEYREMAND, id.,p. 47. il fut condamné à 100 francs d'amende.
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