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affusions ; on électrocutait les malades ou on leur appliquait le cautère" 298. Le
choléra avait concentré sur le scénario connu de la tragédie alimentaire, les peurs
conjuguées de la mort, de l'épuration politique et d'une médicalisation
expérimentale digne des abattoirs.

Jamais les véritables empoisonnements ne touchaient autant de victimes que le
choléra mais chacun dans son quartier ne pouvait, au début, s'en rendre compte et
croyait revivre des scènes qui avaient eu lieu peu de temps auparavant. Par exemple
en 1827, quatre cents personnes avaient été touchées par une épidémie due à la
présence d'arsenic dans le sel de cuisine qu'elles employaient. "Ce sel déterminait
la boursouflure de la face, des douleurs de tête, une soif ardente, l'inflammation
des amygdales, des douleurs intolérables dans tout le trajet de l'estomac et des
intestins, suivis d'un flux diarrhéique presque toujours sanguinolent." 
299Le
fabricant de sel ne raffinait pas que le sel marin et le sel de varech, il faisait
également des sels arsenicaux. De graves accidents se déroulaient ainsi, causés par
la confusion des produits ou des récipients ayant contenu l'objet mythique de
l'empoisonnement d'alors : l'arsenic.

En 1887, une épidémie aussi spectaculaire que bizarre, toucha les habitants
d'Hyères. L'influenza, l'acrodinie, la miliaire furent à tort suspectés et cinq mois
plus tard on s'aperçut que les 435 personnes malades (dont trois étaient mortes),
avaient bu du même vin plâtré par mégarde avec de l'acide arsénieux. Ce diagnostic
tardif ne peut s'expliquer que par la variabilité du tableau symptomatique qu'offre
l'intoxication arsénicale, suivant son intensité. Tout au long du siècle, les travaux
des médecins, les thèses de médecine, l'observation des intoxications
professionnelles dans les fabriques d'aniline et surtout de fuchsine 
300vont
s'employer à préciser ce que les traités du XIIIème siècle décrivaient déjà à l'aide
d'autres figures de rhétorique : la sémiologie arsénicale.

En 1901, l'Angleterre compte ses morts : trois cents et ses malades : environ
quatre mille. Tous ont bu de la bière arsénicale. Fabriquée à partir de sucre
interverti et de glucose 
301par souci de rentabilité, la concurrence étant féroce, les
produits employés n'étaient pas chimiquement purs et avaient déterminé ces
nombreux accidents. Une commission dite de "l'intoxication arsénicale" avait alors
été nommée par les pouvoirs publics et l'Europe entière était aux aguets car la
menace pouvait être générale. D'ailleurs, cette commission trouva de l'arsenic
partout : dans les confitures, les sirops, les limonades, dans certaines levures de
bière utilisées en pâtisserie, etc... L'arsenic y était certes en faible quantité, mais qui
pouvait garantir qu'il en était partout ainsi ?

Les membres de la commission, interrogés par les hygiénistes français 302
avouaient qu'ils n'oseraient exiger autre chose que l'exclusion de l'arsenic dans la
fabrication du glucose et qu'ils ne pouvaient pas plus faire retirer et détruire les
produits en stocks que demander l'interdiction de fabriquer de la bière sans
houblon. Or l'origine des accidents est bien là. Le houblon est un produit cher qui

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298DELAPORTE, id., p. 43. L'auteur signale fort justement l'erreur actuelle des "historiens (qui)
appellent un peu vite (les) résistances à la médicalisation" ce qui n'était qu'une crainte tout à fait
justifiée par d'éventuelles vivisections et dont nous avons parlé pour la seconde partie du siècle.
299A. CHEVALLIER, id., p. 457. Quelquefois les empoisonneurs simulaient l'empoisonnement
accidentel et en 1843, à la Haye, quatre-vingts personnes furent intoxiquées par un sel auquel le
domestique de leur épicier avait mêlé de l'arsenic pour "éloigner les clients de la boutique de son
maître et avoir moins d'ouvrage à faire."! ibid., p. 458.
300Voir par exemple : Dr. CHARVET, "Etude sur une épidémie qui a sévi parmi les ouvriers
employés à la fabrication de la fuchsine", HPML, XX, (1863), p. 281 ou A. CHEVALLIER, "De
la fuchsine", HPML, XXV, (1866), p. 22.
301Le glucose permettait une meilleure conservation qui rendait alors possibles les expéditions de
bières dans tout l'Empire (au dire des brasseurs).
302L'Angleterre représente alors pour l'hygiène internationale le modèle absolu, à juste titre.

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