laine. Rapidement trahis par leur odeur putride, ces légumes remis à neuf et
alourdis sont vendus prestement à des pratiques sans doute anesthésiées par un
climat général de médiocrité alimentaire.
Au delà de leur forme artisanale et généralement inoffensive, ce qui frappe dans
ces escroqueries bon enfant c'est qu'on les trouve partout avant le Second Empire.
Ensuite elles prennent un caractère de survivance qui amuse les hygiénistes et
pimente leurs sentencieux rapports. Dans la seconde moitié du siècle, le virage est
définitif, la falsification se met au rythme général et s'industrialise. Avec la
diffusion commerciale croissante des produits chimiques, les voleurs se
transformentplus souvent en empoisonneurs. L'empoisonnement d'ailleurs, n'est
plus ce qu'il était lui non plus ; on l'associe volontiers au complexe symptomatique
de " l'affaiblissement de la santé générale en Europe" 293et sur cette piste
brouillée, il abandonne son allure de cauchemar pour prendre celle, banalisée et
sourde, de la décadence.
Les grandes scènes pathologiques
Dès l'apparition du choléra, en 1832, le bruit court que les aliments sont
empoisonnés. La similitude des symptômes justifie amplement la méprise. C'était
jusque là un mal inconnu à Paris et l'hécatombe est telle qu'un peuple déshabitué
des pestes ne peut y voir que l'amplification apocalyptique de ce qu'il ne connait
que trop bien : l'empoisonnement alimentaire. Vite récupéré, le bruit se déforme et
l'on croit que le gouvernement veut empoisonner "les vainqueurs de Juillet" 294,
tailler dans "la matière à émeute" 295avant que la disette, qui menace, ne
l'enflamme à nouveau.
La terreur était telle qu'"un grand nombre de personnes effrayées de ces bruits
auxquels se joignaient des effets d'imagination, croyaient éprouver, ou plutôt
éprouvaient des douleurs, des coliques. Le moindre fait était signalé à l'autorité ; le
premier objet alimentaire trouvé par hasard sur le pavé, était porté chez le
commissaire de police du quartier qui l'adressait à l'autorité supérieure." 296
Chargés des analyses, les hygiénistes mesurent surtoutl'ampleur de
l'affolement . Dans les casseroles moirées, les morceaux de pain, l'oeuf entier
trouvé sur la devanture d'une boutique, les pastilles, les dragées, l'emplâtre
vésicatoire par incorporation, ramassés, nulle trace de poison. Dans le papier qui
avait enveloppé du tabac, saisi sur des soi-disant empoisonneurs arrachés "tout
meurtris de coups, des mains d'une foule de misérables qui demandaientleur
mort" 297, pas de substances vénéneuses.
L'hôpital, comme à l'accoutumée, matérialisait l'abomination. Les parents qui y
mouraient et qu'on ne pouvaient visiter, avaient été empoisonnés ou bien on avait
expérimenté sur eux des méthodes par lesquelles on espérait sauver les riches. A
l'Hôtel-Dieu, "on faisait ingérer les stimulants les plus violents ; on procédait à des
293Dr. R. MARTIAL , op. cit., p. 526.
294F. DELAPORTE,Le savoir de la maladie. Essai sur le choléra de 1832 à Paris, Paris,
P.U.F., (1990), p. 39.
295Un médecin cité par DELAPORTE,id., p. 44.
296A. CHEVALLIER, "Examen de divers produits soupçonnés empoisonnés ou pouvant causer
des empoisonnements", HPML,VIII, (1832), p. 311.
297id., p. 323. Quatre condamnations pour provocation au meurtre furent prononcés dans cette
affaire.
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