A l'ère pastorienne, ces empoisonnements "classiques" à l'arsenic sont doublés
de l'observation bactériologique des causes d'intoxication. Les anciens savaient
déjàreconnaître les différentes formes d'empoisonnement et celui que
provoquaient, par exemple, les aliments corrompus était soigneusement distingués
de ceux semblables que pouvaient entraîner certains principes vénéneux extraits des
végétaux. Mais ils ne savaient en expliquer la cause. Au tournant du XXème siècle,
les études et malheureusement, les nombreux cas d'observation de salmonelloses,
de botulisme, de gastro-entérites dus au bacille paratyphique B, etc,... parachèvent
la carte étiologique de troubles très anciennement observés. Tout naturellement,
viennent s'ajouter d'autres grandes peurs telles que celle de la contamination
tuberculeuse ou syphilitique qui vont déterminer une chasse bien souvent abusive
aux porteurs de germes pathogènes.
Le lait, boisson eugénique qui par sa destination justement tue, encore en 1911,
53OOO petits enfants emportés par la diarrhée infantile 308, mobilise
particulièrement les hygiénistes et leurs imprécations retentissent contre les
conditions barbares de la production 309, du commerce et de la consommation elle-
même. Il faut apprendre la stérilisation à tout le monde et déjà, devant la difficulté,
se profile l'habituelle aspiration à la professionnalisation etau centralisme.
Les grandes usines "centrales", qui nous environnent ont commencé là leurs
carrières. Sur l'instigation de Paul Strauss, la Commission d'étude de
l'alimentation par le lait, constituée le 7 décembre 1896, a examiné le projet d'un
établissement central de stérilisation et s'y est montrée favorable. Comme pour les
abattoirs publics, l'habituelle matriçage de la province sur Paris s'étalera sur tout le
XXème siècle. C'est que le lait est considéré non seulement comme un médicament
que "les médecins du bureau de bienfaisance (devraient pouvoir) prescrire au même
titre que les autres 310, mais il est aussi, mythiquement, l'antidote de l'alcoolisme,
empoisonnement d'un nouveau genre dont le mécanisme est depuis peu de temps
reconnu.
Les poisons clandestins
Dès 1857, Chevallier écrivait : "La falsification ne s'exerçait d'abord que sur
quelques substances ; depuis, elle a successivement progressé de telle façon qu'il y
a presqu'autant de produits fraudés qu'il y en a de purs." 311A la cinquième édition
de son ouvrage, 21 ans plus tard, il constatait qu'il était rare de rencontrer une
matière quelconque exempte de falsification ou d'altération : les aliments, les
boissons, les condiments sont altérés, dénaturés etc..." Cette opinion est confirmée
par tous les hygiénistes : "La lecture des rapports officiels impressionne
péniblement. Partout où les Conseils d'hygiène ont voulu vérifier, même
308J. RENNES, "Le lait qui tue. Le lait qui sauve", brochure de 66 pages éditée par le revue Le
Lait, Lyon, 1923.
309"Le lait vendu par les laitiers des campagnes très éloignées des villes sert trop souvent à laver
les trayons malpropres des vaches et les mains plus malpropres encore des personnes chargées de
les traire, qui ne connaissent guère l'usage du savon pour leur toilette personnelle." Le lait bourru
de Normandie décanté révèle "un dépôt noirâtre que le microscope montre composé de débris de
fumier, de matière fécale desséchée, de poussière de foin, où les germes pathogènes et saprogènes
ne font pas défaut." E. VALLIN, "Intoxications alimentaires par la viande de veau", HPML, XXI,
(1889), p. 48O.
310Dr. P. BUDIN, "L'alimentation par le lait", HPML, XXXVIII, (1897), p. 263.
311A. CHEVALLIER, Dictionnaire des altérations et falsifications des substances
alimentaires, Paris, 1857.
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