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Avant même d'examiner si l'appareil législatif était suffisamment performant, il
faut dire que les hygiénistes voyaient dans leurs conseils des sortes de tribunaux et
parlaient des avis qu'ils distribuaient comme formant jurisprudence
366. Or ce droit
scientifique était bien souvent en complète discorde avec le vrai droit qui n'avait que
mépris pour cette justice de laboratoire incapable de s'entendre au niveau national et
a fortiori international
367. On a déjà vu à propos de l'acide salicylique dans les
conserves la façon cavalière dont les tribunaux court-circuitaient les instances
hygiéniques, privilégiant l'avis des grandes académies. Cette méprise est un signe
évident du manque d'information général sur la nature même de l'hygiène et de la
spécificité de ses représentants : "Vous savez combien l'autorité est encore peu
familière avec les questions d'hygiène, choses et personnes ; elle estime que tout
médecin est un hygiéniste, erreur que ne commettrait pas un homme du monde, s'il
s'agissait de choisir parmi des musiciens ; il sait lui que tous ceux qui siègent à
l'orchestre de l'Opéra sont des musiciens, mais jamais il ne fera suppléer un
violoniste par un flûtiste ou une trompette."
368
Alors pensera-t-on, pourquoi ne se faisaient-ils pas mieux connaître ? Mauvaise
question car tout au long du siècle et encore de nos jours on imagine que les
hygiénistes ont une identité précise, une définition qui les classe par exemple
aujourd'hui dans le vaste rayon de la prévention. Vaste ? Là est bien la question,
s'occupant de santé de toutes parts aucune limite ne leur est supportable sauf peut-
être celles que Brouardel définissait ici avec esprit : "Le seul caractère distinctif
actuellement de l'hygiéniste est que les fonctions qui lui sont dévolues sont
gratuites ou à peu près gratuites ; pardon, j'oubliais un second caractère aussi
général que le premier, on lui demande des rapports, des consultations mais quant
aux conclusions on en tient compte..., s'il y a lieu."
369

Face à cette nébuleuse, les juges tâchaient d'appliquer des lois qui ont
longtemps trahi, par une apparente incohérence, la simple ignorance et l'inertie du
législateur et de la justice.

Suivons par exemple la législation sur la falsification des vins, cette denrée
ayant toujours eu un rôle déclenchant .

Des lettres patentes du 5 février 1787 condamnaient à "trois années de galères et
à 1000 livres d'amende dont moitié (sera) au profit du dénonciateur, ceux qui
seront convaincus d'avoir introduit dans les boissons lesdites préparations (céruse,
litharge et toute autre préparation de plomb ou de cuivre)". La sévérité était donc
extrême quand le diagnostic de l'intoxication était fait et qu'on réussissait à attraper
les fraudeurs...

Avec le décret des 2 - 17 mars 1791, la liberté du commerce et de l'industrie est
devenue en la matière un principe aussi utile que dangereux. L'imagination et
l'ingéniosité de chacun pouvait désormais s'exercer. Ce droit fondamental, inconnu
de l'Ancien Régime a donné les pires abus et l'on a déjà fait allusion aux célèbres
saucissons fourre-tout de la période révolutionnaire. Les fraudeurs ne sont pas
apparus à cette époque mais ils s'en sont donné à coeur joie et ils ont certainement
fait des émules. Le public lui-même prit l'habitude de cet état d'esprit et subit
sereinement les dénominations équivoques et les surprenants produits de cette
imagination industrieuse et commerciale libérée. Pour parfaire ce paradis perverti, la
loi du 19 juillet 1791 (titre 2 art. 38) réduisait la peine qu'encouraient les fraudeurs

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366Cf.BROUARDEL, Traité d'hygiène, op. cit.p. 663.
367Si la recherche des fraudes et des falsifications devient une branche importante de la chimie
appliquée, elle est loin de pouvoir résoudre tous les problèmes qu'on lui pose et quelquefois, elle
donne des résultats qui ne sont contradictoires qu'en apparence (la moyenne de composition des
produits diffère).
368BROUARDEL, S.M.P., 24 janvier 1883, in RHPS, V, (1883), p. 121.
369Ibid..

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