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artificielle qui, renfermant de l'air, est opaque 236. Il fallut de nombreux accidents
et de nombreuses études bactériologiques pour obtenir l'ordonnance de police du
31 juillet 1907 qui oblige les fabricants de glace artificielle à utiliser les eaux servant
à l'alimentation publique
237et soumet la vente des glaces naturelles et artificielles à
des contrôles hygiéniques
238.

En 1874, dès que Tellier eut mis au point son premier appareil frigorifique 239,
il projeta de rapporter d'Uruguay un trésor de viandes fraîches à 4O centimes le kg
enfermé dans les flancs glacés dune boucherie flottante. Très vivement encouragé
par le concert des pouvoirs publics et des hygiénistes, il fit armer à cette intention
un bateau à vapeur solennellement baptisé Le Frigorifique. Il devait être le premier
maillon d'une chaîne destinée à exploiter les "carrières de viande"
240des deux
eldorados américains. Et les hygiénistes de rêver aux buffles qui traversent , aux
dires des voyageurs, la prairie nord-américaine et qui sont si nombreux qu'on peut
en voir un million en un seul jour...Et de compter et de recompter les immenses
troupeaux texans qui sidèrent l'imaginaire de la vieille Europe bien avant l'arrivée
du western cinématographique...Et le Brésil avec sa viande à 25 centimes le kg :
"le plus souvent même, dans le Sud, la viande n'est pas vendue au poids : l'on
achète à simple vue d'énormes morceaux pour quelques francs"
241et elle est
souventes fois vendues pour faire du guano ! Et l'espace, immense et libre où l'on
pourrait encore ajouter des troupeaux... Et l'Australie qui déjà se recouvre de
fermes que les "hardis Squatters"
242peuplent de quantités de moutons et de
boeufs... Oui, vraiment, il est temps de "rendre service à tout le monde"
243en
faisant faire des affaires aux étrangers qui secoureront ainsi "la vieille Europe, où
les humains se pressent sur le sol qui doit les nourrir."
244

La première traversée mythique dura quatre-vingt-dix jours et tout se passa
bien. Un autre vapeur, le Paraguay partit alors de Marseille pour la Plata et le
manque d'expérience provoqua un échec si retentissant, les entreprises s'étant
entièrement ruinées, que l'envol s'arrêta net, laissant aux étrangers les risques de
l'exploitation d'une invention française. Et pourtant quelle influence apaisante aurait
eue le développement d'une telle technique sur des hommes désormais" préservés
du va et vient redoutable de l'abondance et de la misère, délivrés, en une certaine
mesure, des contingences matérielles, ils pourraient se consacrer davantage au

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236Un fabricant de glace artificielle confiait en 1884 à V. du CLAUX : "Croiriez-vous que nous
devons livrer à nos clients des carafes frappées parfaitement opaques et de la glace en fragments
rigoureusement transparente ? Ils refuseraient sans pitié toutes les marchandises que nous ne
donnerions pas dans ces conditions (...). Ce sont d'étranges animaux". Idem, p. 98.
237Certains fabricants utilisaient par économie l'eau du Canal de l'Ourcq et comme elle était trop
chargée "des produits de la civilisation" (Du Claux), elle encrassait tant les appareils, qu'ils durent
prendre celle de la Vanne et filtrer les plus gros déchets. Voici l'article premier de l'ordonnance qui,
pour notre époque, exprime une évidence, mais qui est le fruit d'un long travail de la part des
pastoriens pour faire comprendre que la congélation n'était pas une distillation et que le froid ne
purifiait pas comme le feu : "Les glaces artificielles ne pourront être fabriquées dans le département
de la Seine qu'avec les eaux servant à l'alimentation publique".
238Art. 5 de l'ordonnance : "La vente et la mise en vente des glaces naturelles ou artificielles
expédiées des départements ne seront permises dans le département de la Seine que sur la production
d'un certificat de provenance délivré par le maire de la commune du lieu de production, attestant que
la fabrication ou la récolte de ces glaces a été l'objet d'un avis favorable de la Commission
sanitaire d'arrondissement".
239C'était un appareil à absorption basé sur l'évaporation de l'éther sulfurique que l'on remplaça
plus tard par l'ammoniaque inventé par le Français Carré dès 1857 et ingénieusement vulgarisé par
Tellier.
240J. ARNOULD, op. cit.,p. 4O4 et 4O2.
241COUTY, "L'alimentation au Brésil et dans les pays voisins", RHPS, III, (1881), p. 183.
242ARNOULD, id., p. 4O4.
243ARNOULD, ibid.
244ARNOULD, ibid.

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