Quant à la façon de le préparer, c'est de la chimie à l'état pur, il faut "un
appareil à déplacement" (c'est-à-dire une théière revisitée par la science), dans
lequel on fait macérer trois fois de suite le mélange avec de l'eau bouillante. Thé et
café "épuisés", "les colatures sont évaporées d'abord à feu nu jusqu'à consistance
de sirop, puis à siccité au moyen de bain-marie" (ce dernier terme est commun à la
cuisine et au laboratoire). La poudre obtenue est sans doute à l'origine de nos cafés
solubles.
Contemporaine du développement des chemins de fer, la cuisine à vapeur de la
chimie va conquérir les vraies cuisines. C'est qu'elle présente le double avantage
d'économiser le combustible (de plus en plus cher) et de désinfecter.
Dès 1853, à Paris, un pauvre diable qui faisait sa soupe avec une marmite
enfermée bouillante dans un carton à chapeau soigneusement capitonné, inventa
sans le savoir 174, ce qui sera appelé la marmite norvégienne et connaîtra des
développements gigantesques.
Aux avant-postes gustatifs, l'armée expérimente : "Par ce moyen, un corps
d'armée en marche peut trouver des aliments tout cuits à chaque étape (...), il n'y a
que la distribution à faire. Un certain jour, le service n'ayant pas permis aux
troupes de manger à l'heure ordinaire,les aliments restèrent treize heures et demie
dans les appareils, et cependant quand on les en retira, ils étaient chauds, et comme
toujours, bons sous tous les rapports" 175. Pour s'adapter aux grands
rassemblements d'hommes (que nous appelons par convention microcosmes), la
marmite norvégienne prend des allures de locomotive.
A l'exposition d'hygiène de Berlin en 1882, "véritable évènement scientifique
et social", qui "montre le rôle de cette science dans les préoccupations
modernes" 176, la foule se presse pour admirer la cuisine de Becker (au nom
prédestiné). Construit pour 600 rationnaires, l'appareil est desservi par les soldats
du régiment de chemins de fer qui l'utilisaient expérimentalement depuis un an. La
vapeur court dans la double paroi qui préserve les aliments et permet une économie
considérable de combustible. Dans ce genre de cuisine, les générateurs de vapeur
sont les mêmes que sur les locomotives.
Inaugurée par Rumford 177 au XVIIIème siècle, cette recherche forcenée
d'économie du combustible résonne, au-delà de l'avarisme, comme une réponse


173 Compte rendus de l'Académie des Sciences, (1870), in HPML, XXXVI, (1871), p. 456.
174 Dr. J. JEANNEL, "Mémoire sur la coction économique des aliments", HPML, XLII, (1874),
p. 84.
175 Id., p. 85.
176 Dr. ZUBER (médecin major, professeur au Val de Grâce), "L'exposition d'hygiène à Berlin",
RHPS, V, (1883), p. 639.
177 "L'univers rumfordien des appareils avares et des plaisirs chichement calculés, répond aux
impératifs de son temps : résoudre les crises d'une économie en détresse, fortifier le trône menacé
(...). Son feu physique doit empêcher l'ardeur bouillonnante des affamés et des chômeurs (...).
C'est l'agriculture, l'alimentation, les ressources en blé et en bois qui commandent aux peuples,
décident des Etats, dirigent explicitement les sciences. Avec Rumford, un régime politique
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