que provoque le spectacle des danseuses orientales à demi nues, à proximité duquel
s'agglutinent des essaims de prostituées.
Toujours étudiée, jamais satisfaisante, l'alimentation de l'Européen aux
colonies est considérée comme la pierre d'achoppement de l'acclimatement.
Oscillant du trop riche mais excitant au sobre mais débilitant, elle suit les variations
brutales du climat et livre le tube intestinal à un "combat continuel entre les deux
alimentations" 130. Abandonner ses habitudes et prendre celles des riches indigènes
est le conseil favori de l'hygiéniste qui commence par ailleurs à étudier les hommes
qui, susceptibles de civilisation, sont importés d'un pays vers un autre au climat
comparable. Les mutations alimentaires conjointement étudiées chez les vertébrés
(dont l'homme) et les invertébrés, révèlent à l'observateur scientifique une
bienheureuse innocuité sur la mutation et la reproduction 131. Cependant, la
pratique a encore son mot à dire et l'hygiéniste de nous donner la recette du bon
élevage des "nègres" : "On veut utiliser la main d'oeuvre indigène, la seule possible
dans les pays tropicaux ; comme ces nègres sont habitués à vivre sobrement, on
croit volontiers que leurs besoins alimentaires sont très limités et qu'on peut les
nourrir d'une façon plus que sommaire. Il faudrait toujours étudier soigneusement
le régime ordinaire de ces hommes et chercher à s'en rapprocher en l'améliorant si
possible (...). A ce prix seulement, on arrivera à pouvoir utiliser la main d'oeuvre
indigène, et on ne verra plus se produire ces maladies à symptômes mal définis qui
éloignent les nègres de nos centres industriels et déroutent la science et les
médecins" 132.
C'est que depuis longtemps, les hygiénistes veillent à ce qu'ils appellent, au
tournant du XXème siècle, le capital santé et le capital énergie 133. Les enquêtes sur
l'alimentation ouvrière, souvent faites pour dépister les habitudes alcooliques,
révèlent une situation aussi désastreuse que pour le logement. Laissé à lui-même,
l'ouvrier est victime des "amas sans nom" que lui vendent les bijoutiers 134, des
immondes ragoûts des restaurants à prix fixe 135, ou de l'ordinaire trafiqué des
marchands de vin 136. Aussi, la solution patronale s'impose-t-elle, comme pour
l'habitation, et l'hygiéniste suggère aux industriels qui emploient de nombreux
ouvriers de mettre, comme cela se fait au Bon Marché, un restaurant à leur
disposition. La logique du profit serait doublement respectée, le travail serait
amélioré et "les patrons pourraient réaliser sur l'exploitation du restaurant, des
bénéfices considérables" 137. A défaut, les patrons pourraient leur faire installer des


130 Dr. AUBERT-ROCHE (ex-médecin en chef au service d'Egypte), "Essai sur l'acclimatement
des Européens dans les pays chauds", HPML, XXXIII, (1845), p. 39.
131 Dr. J. LEGENDRE, "Mémoire sur les mutations alimentaires chez quelques vertébrés et
invertébrés. Leur influence sur l'acclimatation et la pathologie", RHPS, XLIV, (1922), p. 798.
132 Dr. A. LOIR (en mission à l'Institut Pasteur), "Alimentation et maladie spéciales aux
indigènes de la Rhodésie dans les mines d'or. La bière des Cafres", RHPS, XXV, (1903), p. 920. Il
s'agissait du béri-béri.
133 Pr. L. LANDOUZY, Hygiène sociale : l'Alimentation rationnelle, conférence faite à la
Sorbonne le 12 mars 1908, Masson et Cie.
134 Ce sont des marchands de viandes cuites et Maxime du Camp rapporte que "ce qu'ils vendent
se nommait jadis des rogatons, mais l'argot a prévalu et cela s'appelle aujourd'hui des arlequins.
De même que l'habit du bergamasque est fait de pièces et de morceaux, leur marchandise est
composée de toutes sortes de denrées. Ces gens-là recueillent les dessertes des tables riches, des
ministères, des ambassades, des palais, des grands restaurants et des hôtels en renom". Chaque
matin,la récolte est triée et artistiquement présentée. On se cache pour accomplir ce travail
d'épuration et tout se vend avant midi". Cf. DUCLAUX, "L'alimentation de l'ouvrier de Paris",
HPML, XV, (1886), p. 98.
135 Pour 1,10 franc on y sert un hors d'oeuvre, deux plats au choix, un dessert et 1/2 bouteille de
vin, mais tout y est factice.
136 Pour 25 ou 30 sous, on y mange "de la viande douteuse, de l'eau de vie exécrable et du vin
fabriqué de toutes pièces avec des raisins secs et de la cochenille". Cf. DUCLAUX, id., p. 97.
137 Ibid., p. 100.

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