Au tournant du XXème siècle, la ration militaire est rebaptisée ration
physiologique et on la compare à celle du cheval de guerre 161. N'ont-ils pas besoin
tous deux de matières azotées ? La loi d'isodynamie (les aliments peuvent se
remplacer les uns par les autres s'ils fournissent la même quantité d'énergie) a été
confirmée par les expériences d'Atwater et les besoins de l'homme, cette usine
chimique qui fait de la vie une combustion (Berthelot), seront désormais calculés,
non plus en pain, mais en calories. En 1918, le Président de la Section d'Hygiène
de la Direction des Inventions calcule la quantité nécessaire à l'alimentation du
corps de la patrie : 100 milliards de calories quotidiennes. Il la baptise "Le Jour de
France" 162. C'est qu'entretemps, tout le monde est entré en guerre et subit les
rationnements.
La composition du pain, aliment stratégique, va être surveillée chez l'ennemi :
"D'après des échantillons provenant de déserteurs ou de prisonniers de guerre, il
était encore, au début de 1915, préparé avec des farines de seigle blutées à 85, puis
le taux de blutage a été élevé progressivement jusqu'à 95 et même au-delà. En
janvier 1916, il y eut mélange de seigle, de pomme de terre et de rave et, quelques
mois plus tard, addition à ces produits de sciure de bois. Vers la fin de la même
année, on était revenu à la farine de seigle non blutée avec addition, parfois, de
maïs" 163.
Quant aux alliés, ils raffolent du pain militaire français qui a lui aussi subi les
variations symptomatiques du blutage, mais a beaucoup moins souffert que le pain
civil, auquel on a ajouté du maïs, des pommes de terre, des haricots, du millet, de
l'orge, du riz, du manioc ou du sarrasin et a rapidement été baptisé pain de famine,
ou pain KK. La science, secourable, inventait les formules et en surveillait l'effet
produit sur les corps.
La science cuisinière
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"Quand on voit les choses d'en haut,
on peut compter jusqu'à trois espèces de
cuisine :
- la première, qui s'occupe de la
préparation des aliments, a conservé le
nom de primitif ;
- la seconde, s'occupe à les analyser et
à en vérifier les éléments : on est convenu
de l'appeler chimie ;
- et la troisième, qu'on peut appeler
cuisine de réparation, est plus connue
sous le nom de pharmacie" 164
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161 A. BALLAND, "Les rations physiologiques et les rations d'entretien de l'homme de troupe et
du cheval de guerre", HPML, XLVII, (1902), p. 339.
162 Dr. L. LAPICQUE, "Quelques principes physiologiques pour une politique de ravitaillement",
RHPS, XL, (1918), p. 167.
163 M. BALLAND, "Pains consommés de 1914 à 1918", HPML, XXXI, (1919), p. 54.
164 BRILLAT-SAVARIN, Physiologie du goût, Paris, A. SAUTELET, (1826), réédité avec une
lecture de Roland BARTHES, Hermann, 1975, p. 143.

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