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Sous la surveillance des administrations de la guerre et de la marine, la question
étant hautement stratégique, de nombreuses expériences sont entreprises en
appliquant les leçons tirées de ces observations scientifiques. Les silos en forme de
bouteille sont en tôle, fermées par un couvercle à pression zinguée et vernis. Le tout
enveloppé de maçonnerie reproduit au mieux les conditions des silos
méditerranéens enterrés dans un sol favorable. Le sulfure de carbone qui, par
ailleurs, rend stériles les ouvriers de la vulcanisation du caoutchouc, n'est pas nocif
pour les ouvriers de l'ensilage. Il ne tue que les charançons et coûte 1 à 2 centimes
par quintal.

Cet outillage antique, repensé, va permettre toutes les spéculations
économiques et stratégiques. Invulnérables aux incendies, dissimulables,
destructibles à volonté (robinets d'eau à prévoir), adaptables aux navires, ces silos
pourraient changer la face du monde si les trouvailles de la science n'avaient pas
"affaire aux intérêts à courte vue, aux déficiences du capital et surtout, aux
répugnances de la routine qui gouverne le monde"
182. C'est pourquoi les paysans
continueront, pour la plupart, à stocker leurs grains en couches de 30 à 40 cm dans
des greniers en proie à tous les parasites et où la nécessité du pelletage anti-humidité
fera cruellement sentir le manque croissant de main-d'oeuvre.

Cependant, l'acharnement scientifique ne s'arrêtera pas là, puisqu'en 1865
seront faites des expériences de conservation par le vide dans la ferme impériale de
Vincennes. Très concluante, la méthode n'aura pas d'avenir immédiat à cause des
frais d'installation et d'entretien énormes
183qu'elle impose. Il suffit de faire
quelques pas dans la campagne actuelle pour constater la fièvre d'ensilage dont sont
prises les plus petites exploitations et mesurer ainsi le "progrès" parcouru depuis les
aspirations impériales (amorcées par Napoléon 1er).

A l'octave de ces préoccupations et de leurs réponses, la civilisation carnivore
observe la corrélation entre mortalité et diminution du régime animal et devant
l'insuffisance de la production, redoute la dépendance fragilisante des
importations : "Qu'il survienne un incident quelconque qui arrête, ou seulement
entrave l'importation, tel qu'une guerre générale ou une épizootie meurtrière,
immédiatement la santé des populations qui constituent la force et la richesse de la
nation est mise en péril"
184. Aussi les recherches pour améliorer les procédés de
conservation de la viande vont-elles accompagner celles entreprises pour la
conservation des céréales. Les promoteurs, cependant, ne sont pas les mêmes.
Pour le blé, l'armée était aux avant-postes, pour la viande, ce sont les philanthropes
et notamment ceux de la société d'encouragement, au nom évocateur, que président
les plus grands scientifiques
185.

Depuis longtemps déjà, la dessication et la salaison des viandes étaient
universellement pratiquées. Les marins, dont la nourriture se composait
essentiellement de viandes salées et de légumes secs, étaient l'objet d'expériences et
d'études attentives. En 1771, Poissonnier-Desperrières, inspecteur-adjoint des
hôpitaux de la marine et des colonies, qui rendait la nourriture animale responsable
des affections putrides (le scorbut notamment), mit les gens de la Belle Pouleau
régime végétarien. La frégate rentra au port de Brest avec tout autant de malades et
"un équipage qui portait les marques les plus évidentes de la maigreur et de

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182Dr. FONSSAGRIVES (Professeur à l'école de Brest), "De l'ensilage des blés et de l'avenir de
cette méthode de conservation des approvisionnements alimentaires", HPML, XVIII, (1862),
p. 280.
1831 000 F pour un appareil de 50 hl, soit 1,60 par hl/an (intérêt de 8 % pour l'équivalent en
capital financier) Cf.Dr. LOUVEL (l'inventeur du procédé), "De la conservation des grains",
HPML, XXIV, (1865), p. 204.
184O. du MESNIL, "Des différents procédés de conservation des viandes, leurs avantages et leurs
inconvénients", HPML, XLII, (1874), p. 357.
185CHAPTAL notamment en 1830.

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