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beaucoup et ont par conséquent très soif, et de s'écrier : "Que ferions-nous si nous
étions à leur place ?"
145

Il n'est pas jusqu'au pain lui-même qui ne soit l'objet d'une dégradation tant
sur la qualité des farines souvent falsifiées que sur la fabrication. Des sommités
médicales comme le Professeur Tarnier ou encore A. Gautier et Monteuuis vont
jusqu'à accuser le pain blanc obtenu par la mouture hongroise d'avoir provoqué
l'affaiblissement de la santé générale en Europe
146.

Dans la galerie variée des mangeurs du XIXème siècle, l'habitant du
microcosme trouve une place spécifique parce qu'il sert de cobaye et d'étalon.
L'histoire des variations que subit son alimentation est une sorte d'oscilloscope des
idées, tant économiques, que politiques, sociales et médicales et, dans le dosage et
la nature de ses aliments, transparaissent à grands traits les mythes alimentaires
dominants et leurs différentes versions.

  1. Un monde sur du pain


La part lumineuse de l'histoire alimentaire c'est ça : le pain sous-tend, on met
quelque chose dessus et voilà que parce qu'en plus il sous-entend, un monde s'y
met. Proliférant de sens, il remplit les ventres et les têtes, sert de slogan
révolutionnaire jusqu'au XXème siècle, symbolise la chair du Christ et mesure le
taux réparateur du corps usé par le travail. Mis au travail céréalier, l'homme se fixe,
élabore les normes d'un nouveau bien-être et bonne pâte, se cuit lui-même au feu
civilisateur.


La paix des farines


Au XVIIIème siècle, tout ce qui touchait à l'agriculture était à la mode et "la
passion pour l'économie rurale croissait de jour en jour, même parmi les grands
seigneurs"
147. L'article Grainsde l'Encyclopédiefut rédigé en 1757 par
Quesnay, qui était à la fois économiste et secrétaire perpétuel de l'Académie royale
de chirurgie. A cette époque, on s'imaginait à tort que la France produisait au-delà
de ses besoins, et qu'une bonne récolte pouvait même lui assurer trois années de
tranquillité. Un rapport sur la législation des grains depuis 1692 fut présenté en
1789 à l'Assemblée Nationale et témoigne de cet optimisme. Or au XIXème siècle
le développement des statistiques mit fin à cet aveuglement et changea radicalement
la politique des subsistances.

Au milieu du siècle, la population était passée de 24 à 35 millions d'habitants et
son alimentation, bien qu'essentiellement basée sur le pain, bénéficiait des
nouvelles méthodes de culture (diminution des jachères, développement des prairies
artificielles et des nouveaux produits dont le maïs et la pomme de terre). Cependant,
une meilleure précision dans les statistiques et de graves disettes obligeaient à la

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145Id.,p. 525.
146A. GAUTIER, L'alimentation et les régimes,Paris, 1904.
147TEISSIER, Mémoires de l'Académie royale de médecine,tome IX, p. 16 cité par le Dr.
MELIER, "Des subsistances", HPML, XXIX, (1843), p. 309 (en note de bas de page).

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