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Dans les prisons, la corrélation du scorbut avec la suppression des pommes de
terre est constatée à maintes reprises
157.

Cependant, la pomme de terre est au pain ce que la viande chevaline est au
boeuf, elle ne l'a jamais détrôné et la "corvée de patates", traditionnelle des
casernes, n'a pas empêché le pain de munition d'être la mesure de base de
l'alimentation militaire, inaugurant en cela la notion pleine d'avenir de ration
alimentaire
.


Le pain de munition


Avant 1574, les subsistances des troupes étaient à la merci des provinces qui
devaient les fournir en grains, farines et fourrages. Leur défaut provoquait souvent
des désertions et Montpensier créa, pour y parer, l'institution des munitionnaires
des vivres aux armées
, "gens entendus, capables d'une grande prévoyance, de
fixer un poids et un prix aux rations"
158. Au début, la ration de pain était de 32
onces (1 kg), puis elle fut ramenée à 24 onces. Elle n'était fournie que pendant les
six mois de campagne jusqu'à Louis XV qui accorda en 1723 une ration journalière
permanente à ses soldats. Cette tradition se conserva. Une ordonnance de 1727
prescrivit la composition précise de ce pain : 2/3 de froment et 1/3 de seigle, sans
extraction de son et le pain, qui faisait deux rations, pesait encore au XIXème siècle
1,5 kg, soit 750 g pour une ration. Les révolutionnaires allégèrent ce pain en son et
supprimèrent le seigle. Les blés durs entrèrent dans sa composition après les
expéditions de Morée et d'Alger (1830). La question du taux de blutage traverse
toute l'histoire de cette ration fixe de remplissage et on peut y lire la plus ou moins
grande considération que l'on se faisait alors du soldat. Napoléon étant allé jusqu'à
lui accorder, en sus, 125 g de pain blanc pour sa soupe, ration doublée en 1853 par
son neveu. Le soldat français du XIXème siècle avait donc 1 kg de pain quotidien à
sa disposition. Quand il ne le mangeait pas, il pouvait vendre ses restes
159, la
récupération et le traitement des déchets alimentaires étant, à l'époque, extrêmement
bien organisés.

En 1894, le pain de guerreremplaça le biscuit adopté depuis Louis XIV pour
constituer des réserves alimentaires prêtes à voyager et secourir les troupes
nécessiteuses. C'est pratiquement du gâteau par rapport à son ancêtre au nom
trompeur. Il est prévu pour être trempé dans le bouillon et le café, et ne tardera pas
à être stérilisé
160.


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157Voir par exemple Dr. DELPECH, "Le scorbut pendant le siège de Paris", HPML, XXXV,
(1871), p. 297, ou encore Dr. E. LANCEREAUX (médecin à la Pitié, membre de l'Académie de
Médecine), "Le scorbut des prisons du département de la Seine - Etiologie et prophylaxie", HPML,
XIII, (1885), p. 296.
158DUPRE d'AULNAY (Commissaire des guerres, ancien directeur général des vivres), Traité
général des subsistances militairesà Paris de l'imprimerie de Prault, quai de Gèvres, au paradis.
MDCCXLIV, rapporté par A. BALLAND (pharmacien principal de l'armée) dans "Les pains de
munition et les pains de conserve des principales armées", HPML, XLV, (1901), p. 481.
159Les sous-officiers ne veulent pas de pain bis et le revendent pour s'acheter du pain blanc. M.
HAUSSMANN, "Du blutage et du rendement des farines et de la composition du pain de
munition", HPML, XXXIX, (1848), p. 75.
160BALLAND et MASSON, "Stérilisation du pain de munition et du biscuit", HPML, XXXI,
(1894), p. 115.

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