anticipée au désordre interactif de la cherté alimentaire et des rassemblements
humains toujours redoutés, aussi bien politiquement que biologiquement.
En 1908, la Revue (technique) d'hygiène publique et de police sanitaire
(RHPS) donne, en faisant la description de l'aliment industriel, le résumé des
inquiétudes apaisées qui ont zébré le siècle précédent : "production à un même prix
à toute époque de l'année, apprêts culinaires faciles (...), produits concentrés,
homogènes, facilement maniables, se conservant sans appareils frigorifiques, sans
antiseptiques parfois toxiques, emballages peu coûteux, possibilité d'accumuler de
larges stocks" 178. Ces aliments du bien-être social sont la réponse réaliste à
l'utopie chimique de Berthelot. A l'occasion de la fête de la presse civilisée (sic) qui
a eu lieu au Danemark en 1902, il avait annoncé l'avenir radieux de l'alimentation
chimique : "de même que nous préparons aujourd'hui une multitude de couleurs
végétales, nous obtiendrons des matières alimentaires plus sapides, plus
parfumées, d'une digestion et d'une assimilation plus promptes et plus faciles que
les aliments naturels (...). La fabrication des aliments pourra être entreprise, sur
tous les points du globe et dans tous les climats, même les plus déshérités, au lieu
d'être localisée, comme aujourd'hui, dans les localités favorables à notre
agriculture" 179.
Les savants sont quelquefois déboutés par l'hygiène qui sait ce qu'aliment veut
dire. Ainsi, en 1912, le Conseil supérieur d'hygiène refusa le titre de matière
alimentaire à la glycérine.
La science mobilisée

Pour parer à la soudure entre deux récoltes, la constitution de réserves est une
antique préoccupation. Or en concentrant les hommes, l'urbanisation, c'est
l'évidence, dépeuple les campagnes chargées de les nourrir. Le problème ainsi
multiplié s'accompagne de l'obsédant corollaire de la concentration en un même
point d'une armée potentielle de mécontents. Poussée à son comble secoureur,
l'ingéniosité scientifique, souvent jointe à un philanthropisme de bon ton, va
chercher, trouver, contrôler, mesurer et dire "le non hasardé" (d'Arcet) au droit qui
tente de concilier l'aventurisme extravagant de l'industrie avec le bien public.
L'insuffisance des céréales est une blessure vive, car l'alimentation repose plus
que symboliquement sur le pain. L'improductivité relative du sol, à laquelle les
procédés les plus délirants de recyclage de l'engrais humain tentent de
remédier, 180 aggravée par les variations atmosphériques, oblige souvent à des
achats coûteux à l'étranger 181 (1861). A ces incertitudes, l'ensilage semble
pouvoir répondre avec la tranquille bienveillance d'une caisse d'épargne. Aussi en
1852, le ministre de l'Agriculture a-t-il envoyé une mission scientifique pour
enquêter dans les pays méditerranéens, où la technique de l'époque romaine s'est
conservée ou propagée (Algérie, Maroc, Espagne).

tente de se sauver par un régime alimentaire.", F. DAGOGNET, Des révolutions
vertes, Histoire et principes de l'agronomie, Hermann, coll. Savoir, 1973, p. 22 (c'est nous qui
soulignons).
178 F.H. RENAUT, RHPS, XXX, (1908), p. 336.
179 Le temps, HPML, XLVIII, (1902), p. 461.
180 Les hygiénistes sont même allés jusqu'à inventer des chasses de terre (earth-closets).
181 Quand on importe c'est au prix double.
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