l'agriculture et notamment le développement considérable du pain des pauvres, du
pain tout fait (l'époque traduit tout en pain), qu'est la pomme de terre.

Le pain des pauvres

En 1795, c'est la consécration, La cuisinière républicaine paraît, premier livre
de cuisine écrit par une femme et qui traite de l'aliment longtemps maudit (on disait
qu'il donnait la lèpre). La pomme de terre va progressivement conquérir toutes les
assiettes et éviter sans doute au XIXème siècle les révoltes frumentaires qu'a
connues le siècle précédent. Songeons qu'en 1834, on lui reconnaît une rentabilité
sept fois supérieure en matière nutritive pour la même surface emblavée.
Devant l'acharnement au pain, les expériences se multiplient pour essayer de la
panifier et les cordons bleus scientifiques de se mettre au travail. Qui d'y mélanger
de la dextrine, du caillé, de la gélatine, des céréales et qui de torréfier la fécule
malodorante. Les plus grands savants : Bouchardat, Gannal, Persoz, Payen,
Magendie, Leuret, Proust et bien d'autres s'attèlent à la tâche et trouvent des
recettes de pains que seuls ils apprécient.
En liaison avec cet acharnement scientifique, les féculeries, extrêmement
insalubres, se développent, car on fait avec de la fécule, du faux bleu de Prusse, du
faux tapioca et même du faux chocolat et elle remplace la gomme dans la très
importante industrie chapelière et elle entre dans la fabrication du vermicelle et des
pâtes, améliore les vins, se métamorphose en eau de vie, en vinaigre et en bière,
falsifie le sagou et l'arrow-rowt, la cire et la farine de riz. On avait bien essayé d'en
faire du fromage dès 1782 152. Parent-Duchâtelet, qui veille aux effets des
émanations de toute cette fièvre industrieuse sur la santé du voisinage, compte 45
féculeries installées dans le département de la Seine de 1822 à 1832 et "l'on pourra
prévoir la nouvelle extension qu'elles ne manqueront pas de prendre d'ici à
quelques temps" 153.
Les marins baleiniers qui faisaient, aller et retour, des traversées de six mois
étaient souvent victimes du scorbut avant l'utilisation du tubercule. Longtemps
attribuée à l'humidité et à la nostalgie, cette terrible maladie avait donné des
habitudes conviviales aux marins de toutes nations, qui réunissaient sur la mer leurs
bâtiments et réactivaient leur énergie morale en dansant et en chantant "presque tous
les soirs" 154. Or cette fraternisation servait aussi à se secourir en pommes de terre
et parfois, si l'approvisionnement n'avait pas pu se faire correctement, "un homme
placé en vigie, portait ses regards à l'horizon, pour découvrir une voile qui procurât
quelques pommes de terre si ardemment désirées" 155. Beaucoup de matelots en
avaient des provisions secrètes et "conservaient ce dépôt comme une ancre de salut,
dans le cas où la provision commune viendrait à manquer" 156.


152 En 1782, les Affiches du Poitou, poussant toujours à l'utilisation de la pomme de terre,
donnent une recette pour en obtenir un fromage d'un goût agréable et qui se conserve très bien. Dr.
E. MAUREL : "Contribution à l'étude de la pomme de terre, sa valeur alimentaire, son utilisation
pour la panification", SMP dans RHPS, XL, (1918), p. 105.
153 ORFILA et PARENT-DUCHATELET, "Rapport fait au Tribunal de 1ère instance du
département de la Seine sur l'influence des féculeries", HPML, XI, (1834), p. 259.
154 ROUSSEL de VAUZEME, S.M.P., "Influence de la pomme de terre sur la santé des
équipages employés à la pêche de la baleine", HPML, XI, (1834), p. 366.
155 Id., p. 367.
156 Ibid., p. 373.

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