La salaison suspectée et la dessication mythiquement scélérate, poussèrent la
science dans des recherches auxquelles le XIXème siècle naissant offrait des prix
d'encouragement. C'est ainsi qu'Appert découvrit en 1804, que l'on pouvait
conserver la viande dans un vase clos soumis pendant un certain temps 200 au bain-
marie à 100º. Gay-Lussac crut expliquer le phénomène par l'absence totale
d'oxygène libre. Il fallut attendre les théories pastoriennes pour comprendre la
réussite d'Appert... et ses échecs, certains ferments résistant à la température de
100º. Une quantité considérable de procédés furent proposés pendant tout le
premier demi-siècle, dont les plus extraordinaires sont sans doute ceux qui
s'appliquaient aussi à la conservation des cadavres 201.
Enfin en 1836, les boîtes en fer blanc vont remplacer les quasi-intransportables
bocaux de verre d'Appert et suivre un itinéraire semé d'embûches.
Longtemps considérées comme un luxe, les conserves se répandirent d'abord
dans la marine où l'on voulait éviter de transporter des animaux vivants pour
s'assurer des vivres fraîches. Assimilées à une nourriture fraîche, relativement aux
habituelles salaisons, on les distribuait comme à terre, en privilégiant les malades.
Fabriquées dans tous les ports, leur rôle dans les voyages d'exploration se révéla
décisif 202. Mais le réel essor de cette industrie ne commença que vers 1850 et un
nombre de plus en plus considérable d'ouvriers, à qui les fabricants abandonnaient
les boîtes défectueuses, se mirent à y travailler. Très réputées à l'étranger, les
conserves françaises s'exportaient bien 203. Viandes, poissons, lait concentré,
légumes et fruits remplissaient les boîtes métalliques que l'on retrouvait entassées
vides à proximité des champs de bataille 204 ou des grands chantiers.
Les conserves de viande, qui provoquaient au bout de quelques jours un dégoût
insurmontable aux soldats français, inconvénient signalé par les médecins de la
guerre de Crimée et du siège de 1870, furent relayées par les viandes frigorifiées
puis congelées, beaucoup moins onéreuses et de meilleur goût.
Vers 1890, les immenses progrès de la chimie organique accélérèrent ce
développement industriel en montrant les causes d'altération des boîtes.
L'argumentation du prix des aliments frais élargit la demande et le produit se
répandit dans les classes laborieuses. Mais parallèlement à cette extension du bien-
être, les risques inhérents à une fabrication pour le moins hasardée, se
multiplièrent.
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les observations sur la toxicologie
alimentaire furent souvent mises en relation avec l'étude des effets qu'entraînaient
les nuisances industrielles sur la santé des ouvriers. Le saturnisme des peintres en
bâtiment, qui travaillaient alors avec du blanc de céruse, inquiétait l'Europe
entière 205. Tout le monde s'en mêlait, y compris l'immense Pasteur. Or, le fer
blanc des boîtes de conserves était étamé au plomb et les soudures intérieures
étaient faites avec un alliage qui en contenait 70 %. Aussi en 1879, le Comité
consultatif d'hygiène de France, saisi par le Ministre de l'agriculture et du


200 APPERT, Le livre de tous les ménages, ou l'art de conserver pendant plusieurs années
toutes les substances animales et végétales, Paris, 1810.
201 En 1841, une technique d'injection de chlorure d'aluminium suivie de salaison (mais d'une
salaison qui avait l'avantage d'éviter de retirer les os et la graisse) est proposée à la Société
d'encouragement.
202 KERAUDREN, "Observations médico-hygiéniques sur les expéditions maritimes aux pôles",
HPML, XIX, (1838), p. 75.
203 La France a un quasi-monopole des fruits et conserves en boîtes (90 % vont à l'exportation en
1879). Cf. RHPS, I, (1879), p. 5.
204 Ces abandons désespérèrent les hygiénistes : "Il y aurait une fortune à faire en ramassant ces
débris, dont nul ne paraît avoir songé à tirer parti". LOIR, op. cit., p. 90.
205 En 1921, une convention internationale règlera juridiquement la question.
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