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cuivre était considérée comme beaucoup moins grave que la colique saturnine,
même si des paralysies musculaires, des troubles de la sensibilité, de l'anémie, ou
le simple dépérissement des ouvriers étaient parfois constatés.

Du même ordre et suivant en tous points l'historique du plomb et du cuivre
dans les conserves : l'acide salicylique. Utilisé aussi bien par les ménages sous
forme de sel de conserve, que par l'industrie pour retarder momentanément la
fermentation et la putréfaction des aliments, on en consommait des masses
énormes : quatre grammes par jour et par personne (soit 500 tonnes pour la France
par jour), dont l'élimination variait suivant l'âge et l'état général du consommateur.
C'était une ressource inouïe pour conserver les vins d'infime qualité qui inondaient
le marché après l'invasion du phylloxera. On leur en ajoutait plusieurs fois de suite,
dès que leur état précaire menacait de s'altérer. Aussi, à la première manipulation,
les doses inoffensives affichées par les producteurs, ont-elles trouvé chez des
médecins, d'ardents défenseurs. Et quand le procès d'un négociant en vins passa
devant le tribunal correctionnel de la Seine, le 25 mars 1881, la justice, forte de ces
avis qu'elle croyait autorisés, écrasa les hygiénistes d'un mépris tout à fait
injustifié :

"Attendu qu'il résulte des documents produits au débats, que la question de
savoir si l'acide salicylique est ou non nuisible à la santé est, dans l'état actuel de la
science, extrêmement controversée ; que les deux opinions contraires comptent des
partisans parmi les médecins, chirurgiens et chimistes les plus distingués de
l'Europe ;

"Attendu qu'il ne peut être ordonné d'expertise à cet égard ; que pour qu'elle
puisse être utile, il faudrait qu'elle pût être confiée à un corps considérable comme
l'Académie des sciences ou l'Académie de médecine ;

"Attendu qu'il appartient à l'administration supérieure de faire trancher la
question par un des corps désignés plus haut, ou par tel autre corps savant, dont
l'opinion soit assez considérable pour faire loi et constituer un avis que la justice
puisse écouter en toute sécurité".

Piqués au vis, car l'Académie des sciences est une vieille rivale, les hygiénistes
rétorquent aussitôt :

"Il est impossible de ne pas trouver ces considérants très désobligeants pour le
Comité consultatif d'hygiène publique de France, sur l'avis duquel le Ministre de
l'agriculture et du commerce a pris son arrêté. Nos magistrats ne connaissent sans
doute que très incomplètement le rôle et la composition de ce Comité, dans lequel
on a réuni précisément tous ceux qui, par leurs hautes fonctions publiques ou par
leur valeur personnelle, étaient capables d'éclairer le Ministre sur des questions de
ce genre. Nous doutons que les géomètres, les mécaniciens, les astronomes, les
géographes, les physiciens, les minéralogistes, les botanistes, les zoologistes et les
économistes qui composent la presque totalité de l'Académie des sciences, soient
plus capables que le Comité d'hygiène de résoudre une question d'hygiène"
213.

C'est que l'arrêté ministériel du 7 février 1881 interdisant la vente de toute
substance contenant de l'acide salicylique avait déclenché des tempêtes : "Il ne faut
pas s'étonner ; toutes les fois qu'on supprime un abus, ceux qui vivaient de cet
abus poussent des clameurs et prétendent qu'on les égorge ; parfois même, ils
crient si fort, que les inconscientes victimes s'apitoient sur le sort de leurs
empoisonneurs"
214et la mesure avait été injustement accusée d'arbitraire. Le

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p. 392), CHEVALLIER et BOYS de LOURY, "Mémoire sur les ouvriers qui travaillent le cuivre
et ses alliages" (HPML,Paris, XLIII, 1850, p. 337).
213E. VALLIN Bulletin, "Le salicylage des substances alimentaires", RHPS, III, (1881), p. 271
214Id., p. 265.

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