prudence et avant 1832 des mesures prohibitives à l'exportation et dans la
formation des réserves de grains cherchèrent à parer autant à la cherté qu'aux
révoltes qu'elle provoquait. La loi de 1832 sur les céréales affina ces principes en
substituant aux prohibitions une échelle de droits qui rendait, suivant l'importance
des récoltes, la sortie des grains presque impossible en cas de rareté et l'importation
onéreuse en cas d'abondance. Le commerce international des grains, qui n'a été
libéré qu'en 1861, avait pour corollaire obligé une réglementation vigoureuse de la
boulangerie soumise à un contrôle vigilant de l'autorité municipale depuis 1790. Le
système de réserve appliqué par Napoléon avait laissé subsister pour Paris
l'obligation de conserver un approvisionnement en farines de plusieurs jours par
ses boulangeries. C'est que la question du pain met en jeu un monde de délicatesse
et l'on peut lire, dans un rapport présenté au roi en 1844 par le Ministère de la
Guerre, que "Nul commerce n'est plus délicat, plus sujet aux fluctuations, que celui
des grains, et c'est avec une extrême prudence qu'il faut opérer" 148. Il est de
notoriété publique, à cette époque, que la cherté des grains affole l'opinion et
provoque la hausse des prix des autres produits. Dans son beau travail sur le vol
d'aliments à Paris au XVIIIème siècle, A. Farge montre les liens possibles entre la
courbe des voleurs d'aliments et celle des prix du blé et elle explique que la hausse
des salaires ne suivant pas celle des prix, ceux qui veulent conserver leur niveau de
vie travaillent plus et obligent ainsi une partie de la population à chômer et à voler
pour vivre.
En 1843, l'hygiéniste Mêlier avait fait la même constatation en puisant dans les
statistiques de la justice criminelle.
Or au XIXème siècle, les auteurs s'accordent pour dire que la population
souffre moins qu'autrefois des mauvaises récoltes, mais on se souviendra avec
effroi de la mère devenue anthropophage pendant une année de disette et en 1844,
le Finistère signale encore 77 individus morts de froid, de faim ou de fatigue 149.
Prolongeant les travaux de Messance traitant de l'influence des subsistances sur les
maladies et la mortalité au XVIIIème siècle, le Docteur Mêlier constate que si la
corrélation existe encore, elle est beaucoup moins forte ; proportion du XVIIIème
siècle : 15 % des décès ; proportion dans la première moitié du XIXème siècle : 8
%. Le baron Charles Dupin a même établi la relation entre ce qu'il appelle la
fonction des vitalités (qui est une moyenne entre le rapport des naissances sur les
décès et le rapport des mariages sur les décès) et le taux moyen du prix de
l'hectolitre de blé et il a montré que si les prix trop élevés l'affaiblissent, les prix
trop bas lui sont également défavorables, car ils nuisent à l'aisance des ruraux 150.
L'établissement des données statistiques, pourtant, n'est pas chose certaine,
tant en matière de décès qu'en matière de récoltes. Sur 37 000 communes, 3 000
seulement envoient leurs relevés. "Beaucoup de maires y voient même du danger"
nous dit Haussmann. Certains sont illettrés et connaissent mieux les mesures
locales que le système métrique. Seuls les comices agricoles, "réunions d'hommes
instruits et pratiques (...), meilleurs intermédiaires que le gouvernement puisse
employer pour communiquer avec les producteurs" 151 représentent quelqu'espoir
d'objectivité pour l'observateur officiel du XIXème siècle.
Cependant, le progrès général est expliqué, à l'époque, par le changement
politique de la France qui réduit les inégalités de la distribution, les progrès de


148 Dixit N.V. HAUSSMANN (sous-intendant militaire de 1ère classe), "Des subsistances de la
France", HPML, XXXIX, (1848), p. 34.
149 Relevés des préfectures, in Variétés, HPML, XXXIX, (1848), p. 224.
150 Compte rendus des séances de l'Académie royale des sciences mai et juin 1836, rapportés par
MELIER, op. cit., p. 324.
151 HAUSSMANN, op. cit., p. 15.

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