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l'affaiblissement" 186. En 1784 et 1785, une immense enquête d'alimentation
comparée dans les marines anglaises et hollandaises, organisée par la Société royale
de médecine, aboutit à la constatation de la plus grande vulnérabilité au scorbut des
Anglais, gros mangeurs de salaisons. Mais Keraudren, qui rappelle l'expérience
dans le tome inaugural des Annales d'hygiène publique et de médecine légale,
mythe carnivore oblige, attribue cette disproportion à d'autres raisons qu'à
l'alimentation.

Néanmoins, cette imputation injustifiée de responsabilité des salaisons dans le
scorbut, provoqua une accélération de la recherche scientifique pour trouver
d'autres moyens de conservation que le sel. De tout temps, on avait desséché les
viandes et divers procédés, plus ou moins efficaces, étaient en usage. La poudre de
viande, qui est aussi stratégique que la poudre à canon, avait toujours trouvé chez
les militaires des amateurs inconditionnels. Il faut dire que chez ces derniers, les
questions de goût ne primaient pas et que l'on faisait appel, chez eux, en même
temps qu'à un certain courage gustatif, à une sorte de dressage comportemental qui
passait aussi par l'alimentation
187.

En 1882, la Fleisch-pulver d'Hofmann inquiète les revanchardsfrançais des
Annales d'hygiène publiquequi l'étudient de près. Les Allemands ont-ils réussi ce
que l'armée française cherche depuis 1680
188? La déclarant bonne (sans
enthousiasme), les inventeurs gardent soigneusement le secret de sa préparation et
les plus grands chimistes allemands en donnent une formule
189que les Français
associent aussitôt à la définition scientifique de la viande maigre, qui en dit long par
sa brièveté même : de l'albumine organisée.
190

Cette poudre, qui ne coûte pas cher, se conserve indéfiniment, se transporte
sans problème et s'utilise avec une grande facilité. Il ne manque plus que
l'expérimentation sur un grand nombre d'hommes afin qu'après les chimistes, les
physiologistes puissent trancher. Les Allemands, décidés à la tester sur leurs
troupes, choquent les Français qui souhaiteraient "que les hygiénistes, les
inventeurs surtout, commençassent"
191, mais ils reconnaissent que l'invention
serait également utile aux "soldats du travail"
192: "Il est certain, d'ailleurs, que
d'autres millions d'hommes, en tout temps, les ouvriers de nos industries, ont
besoin de viande et paient trop cher celle qui se produit en Europe"
193. Et pour ne
pas être tributaires des "inventeurs de là-bas", ils encouragent les savants et les
industriels à rivaliser en cet utile domaine.


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186KERAUDREN, "De la nourriture des équipages et de l'amélioration des salaisons dans la
marine française", HPML, I, (1829), p. 304.
187"Je me rappelle les difficultés que j'ai rencontrées au dépôt du 117e d'infanterie pour faire
manger des nouilles aux jeunes soldats de la classe 17. Il n'y en avait pas un sur dix qui consentît
à goûter de ce plat inconnu dans leurs familles, et malgré tous les efforts des cuisinières, le soldat
de France repousse presque toujours le riz, les pâtes, les lentilles. Seules les pommes de terre et les
haricots ont leurs suffrages", Dr. Allyre CHASSEVANT, "Conséquences physiologiques de la vie
chère", SMP, 20/10/1919, in RHPS, XLI, (1919), p. 1044.
188Depuis LOUVOIS, toutes les tentatives pour introduire la poudre de viande dans
l'alimentation de l'armée en campagne ont été inutiles (1807, 1813, 1830, 1847, 1855, etc.) et les
brevets d'invention déposés tout au long du siècle n'ont pas connu d'exploitation notable.
189Albumine sèche : 73 % ; matières extractives et sels : 7 % ; eau : 10 % ; chlorure de sodium :
10 %. Cf.J; ARNOULD (Professeur d'hygiène à Lille), "La pénurie de viande en Europe et les
moyens d'utiliser le superflu des nouveaux continents", HPML, VII, (1882), p. 412.
190Définition de MEINERT.
191ARNOULD id.,p. 415.
192MURARD et ZYLBERMAN, op. cit.
193ARNOULD ibid., p. 416.

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