barbarie que trop de civilisation
pouvait paradoxalement apporter n'était pas pour
lui une simple hypothèse de laboratoire
130.
Est-ce à dire que
l'hygiénisme est l'eugénisme avant qu'il ne
devienne la
barbarie ? Ce qui revient à dire qu'à
l'origine, l'eugénisme n'est pas plus perverti
que l'hygiénisme et qu'il le devient par la
radicalisation des procédés choisis pour
arriver à ses fins ? Dans le pessimisme du choix des
moyens, l'eugénisme se
distinguerait de l'hygiénisme. La justification de
leur radicalité entraînant
invariablement une sorte de durcissement du discours
hygiénique. Pour caricaturer,
disons que l'eugénisme peut apparaître comme un
hygiénisme extrême au sens
politique du qualificatif (comme dans extrême droite
ou extrême
gauche).
En touchant aux choses de la
reproduction, l'hygiénisme avait atteint le coeur
de ce qui était auparavant du domaine de la religion.
Pour arriver à ses fins, un
choix était à faire : soit il fallait employer
la force au nom de la justice scientifique et
on aboutissait à l'eugénisme, soit on
conservait les mécanismes souples de la
croyance, mécanismes qui n'excluaient pas, parfois,
l'usage d'une certaine
contrainte physique (par exemple la vaccination obligatoire)
et on conservait une
science du vivant crédible que les "prêtres"
médecins de famille et les "évêques"
gynécologues ou syphilographes prêcheraient
paternellement aux individus pour
le
bien de la communauté.
L'individu, lui, s'interrogeait sur
son corps disparu, phagocité par celui,
impalpable, de la patrie. A cet ectoplasme communautaire, il
lui fallait trouver des
substituts et croyant les voir dans l'ordinaire de
l'extraordinaire, il se prit de
passion pour les corps célèbres. En eux,
paradoxalement, ce qui faisait par ailleurs
la sous-humanité, n'avait pas prise : un roi pouvait
être dégénéré et continuer
à
régner.



130 Voir notamment
notre étude sur la crémation, "La civilisation
incendiaire".
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