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  1. L'allure du coupable


Transformée en crime par ses origines passionnelles et les atteintes réelles ou
potentielles au corps de la patrie, la maladie sociale a des coupables. Leur
identification procède de différents filtrages qui révèlent une forme d'appréhension
complexe, mais harmonisée aux idéologies circulantes.

Plus ou moins performante, l'opération va créer par l'analyse et le langage, un
modèle du suspect qui suscitera l'intérêt et la copie.


La classe douteuse


Observée en période d'épidémie, l'imminence morbide des quartiers pauvres
inquiète le bourgeois qui craint le débordement biologique autant que l'émeute
politique. Cette détermination d'une espèce de population par la fragilité
épidémique, coïncide avec le grand brassage philanthropique des idées que Villermé
a illustrées dans ses retentissantes enquêtes : l'inégalité biologique régnait, les
pauvres mouraient plus tôt, il fallait changer leur mode de vie.

En 1838, l'Académie des Sciences morales et politiques récompensait
l'ouvrage d'un chef du bureau de la Préfecture de la Seine, H.A. Frégier
53. Il avait
établi une véritable nosologie de tous les "vices des populations nombreuses" et
distingué dans cette somme de perversités, des noyaux logiques d'agglomération
que parfois même, un langage propre distinguait. Enseigné dans les prisons, l'argot
liait les voleurs comme étaient inexorablement liées les qualifications de la classe à
laquelle ils appartenaient : classes nombreuses, malheureuses, vicieuses,
laborieuses et dangereuses. L'harmonie musicale des mots, magnifiquement
épinglée par Chevalier
54, courait dans tous les discours moralisateurs de l'époque
et trouvait dans sa solution le point d'orgue révélateur : une société
miséricordieuse. L'idée du pardon octroyé à ceux que le vice poussait dans la
misère s'imposait aux bons comme un rempart contre le massacre qu'ils auraient
peut-être instinctivement fait si la civilisation ne leur avait appris à le
métamorphoser en science élaborée du rejet.

Ce rejet donnait naturellement des zones à la misère et au vice. De ces quartiers
"chauds", un règne pathologique émanait et risquait à tout moment de rompre les
digues. Il fallait le sonder, l'évaluer, le cartographier, le chiffrer, le quadriller, le
peser, le policer, le réduire à merci.

Les statistiques, qui établissaient le lien entre la morbidité et les diverses
façons d'appréhender la classe dangereuse (topographie, profession, immigration,
etc.), donnaient à l'entreprise la solidité architecturale des nombres.

Incontrôlée, la sexualité illustrait l'imbrication de la passion et du mal : "Qu'on
parcoure les annales de la justice criminelle, on verra que la plupart des hommes
que la loi a frappé des plus grands châtiments, les assassins, les parricides, les

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53H.A. FREGIER, Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes et des
moyens de les rendre meilleures,(2 volumes), Paris, J.B. Baillière, 1840.
54L. CHEVALIER, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première
moitié du XIXème siècle, Librairie Générale Française, collection Pluriel, 1978.

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