sociales est telle, que le médecin, expert de la normalité, apparaît comme le seul
recours pouvant garantir la sûreté des rapports humains. Dans tous les domaines,
se pose avec acuité la question de savoir, non pas si son avis est utile, chose
certaine, mais s'il doit être rendu obligatoire et conditionner les entreprises.

Le contrôle sanitaire des flux

L'univers touffu de la sociabilité offre des espaces privilégiés, mélangeurs du
sain et du malsain, qui sont alors perçus comme des "conservatoires de la
tuberculose" 92. Les salles de théâtre, de concerts ou de bal, les établissements de
bains, focalisent depuis toujours l'intérêt de l'hygiéniste qui cherche à les assainir,
et dans ces carrefours du biologique, les éléments témoins sont observés avec soin.
Des études ont ainsi montré que le pompier de théâtre devenait vite tuberculeux
(Landouzy), établissant que les ondes formées par la chute du bacille dans le
gisement de matière humaine, s'organisaient en cercles concentriques où l'intensité
des contaminations variait logiquement.
Les tuberculoses dites "commerciales" faisaient du bacille une marchandise
indésirée et les nombreux employés des grands magasins et des bureaux de poste,
les chiffonniers, fripiers, obscurs négociants des quartiers pathogènes ou
marchands de luxe des grands magasins, récoltaient presqu'autant que le marin, les
tirs croisés du bacille.
Antique préoccupation, la transaction internationale déclenchait le réflexe du
cordon sanitaire et l'isolement : "Chaque ville, chaque nation, doit organiser la
quarantaine pour son propre salut. De même qu'il y a des arrêtés municipaux
interdisant l'entrée des communes aux mendiants et aux personnes suspectes, il
devrait être, de par M. le maire ou de par la loi, défendu à la tuberculose
d'entrer" 93.
La pénétration de la tuberculose sur des terrains vierges concentrait alors
l'intérêt des hygiénistes. Ils y voyaient des champs d'expérience débarrassés des
effets pervers de la multiplication des échanges et de la généralisation subséquente
du mal 94. Au Congrès d'hygiène de Paris, en 1900, K. Hansen de Bergen avait
montré le sillage tuberculeux qui s'était établi parallèlement aux toutes nouvelles
lignes de paquebots et de chemin de fer installées dans certaines contrées
norvégiennes. Contrairement à la rougeole, au choléra et à la variole qui frappaient
sans nuancer les terrains, la tuberculose avait des affinités et des répulsions
qu'arbitraient la misère, l'alcoolisme, le logement insalubre et l'éducation
hygiénique.
Comme tout fléau, la maladie sociale fut isolée de la responsabilité
individuelle : "Les craintes exagérées du bacille ont entravé bien des carrières et
ruiné bien des espérances, comme elle a causé bien des infortunes. Il faut déclarer
la guerre à la tuberculose et non pas aux tuberculeux" 95. Aussi, l'attitude
protectionniste des Etats-Unis, qui interdisaient depuis 1901, l'entrée sur le
territoire à toute personne tuberculeuse, surprend-elle l'hygiéniste français qui
s'inquiète de l'évolution drastique du procédé : "On permettait, par exemple, à un
enfant tuberculeux de débarquer avec ses parents. Désormais, cette autorisation

92 Dr. BARADAT, "La tuberculose et les transactions", HPML, XX, (1908), p. 482.
93 Id., p. 492.
94 On consultera avec profit : A. CALMETTE (sous-directeur de l'Institut Pasteur), "Les modes de
diffusion de la tuberculose à travers le monde", RHPS, XLIII, (1921), p. 653.
95 Id., p. 494.
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