En fait, pour que le mariage devienne un sacrement scientifique, il aurait fallu
que la croyance soit mieux établie : "L'heure de la morale biologique n'a pas encore
sonné" 122. Ce qu'on pouvait faire, c'était éveiller les consciences et amener les
gens à venir se confier au "prêtre-médecin". La nécessité d'établir l'histoire
pathologique des ascendants pour juger de la graine des enfants, imposait d'ailleurs
le style confidentiel du confessionnal.
Cependant, devant le flou artistique de la médecine, les familles s'inquiétaient
et la vie dissipée des garçons avant le mariage, auparavant signe de santé, était
devenue suspecte. La question de la chasteté obligatoire relayait en écho la
problématique du Conseil de révision matrimonial 123.
Pour les femmes, la théorie de l'imprégnation envenimait encore les choses :
impressionnée durablement par son premier mâle, la femme pouvait avoir avec un
autre, des enfants marqués par le premier. Ainsi, une blanche d'abord fécondée par
un noir, pouvait avoir avec un blanc des enfants métissés, plusieurs années après.
Cette télégonie se serait d'ailleurs observée chez les animaux... La science était
partagée par cette théorie qui, comme celle de l'hérédosyphilis, trahissait le profond
malaise qui environnait la gestion du patrimoine biologique.
Pour la classe aisée, une ancre de salut existait : la police d'assurance sur la
vie, que tout bon bourgeois exigeait de son futur gendre. Ce document tenait
compte de l'hérédité et des antécédents avoués. Il était aisément contournable mais
consolait les familles.
Suite à des mariages mal policés sanitairement, il arrivait que des femmes
plaident en divorce contre leurs maris (supposés syphilitiques avant le mariage),
pour avoir contaminé l'enfant né de leur union. Les maris trouvant dans cette
imputation une injure grave, formulaient alors des demandes
reconventionnelles. 124.
Cependant, l'angoisse créée par toutes les mythologies de l'hérédité avait
développé l'usage de la prophylaxie anti-conceptionnelle. Considérée comme "une
mutilation de la fonction génératrice" 125, la contraception avait parfois atteint un
stade extrême, certaines femmes se faisant ôter les ovaires pour ne pas procréer.
Très curieusement, dans l'analyse de la banalisation de ces opérations chirurgicales,
un chirurgien accusait les gens de les prendre pour des héros sanguinaires : "Là
encore, comme toujours, le public est coupable, il va au sang. Il a fait autrefois son
idole des grands capitaines, et maintenant que ceux-ci ont disparu, il se tourne du
côté du chirurgien, dont les pouvoirs sont si grands, qu'on frémit à la seule pensée
qu'il peut avoir des mains indignes" 126.
Toute l'obsédante question de l'hérédité était justement ressentie comme une
affaire de sang et un roman à succès d'A. Couvreur avait, à l'époque, confirmé le
sang comme synonyme exact de l'hérédité (La force du sang).


122 Ibid., 475.
123 En 1906, une enquête organisée par la Chronique médicale avait posé ces questions
révélatrices "1º L'homme doit-il rester chaste jusqu'au mariage ? Ne craignez-vous pas que
l'abstinence soit une cause d'amoindrissement de ses qualités viriles ?
2º Si vous pensez que l'individu doit accomplir sa fonction d'homme, depuis l'âge de dix-huit ans
jusqu'à l'époque où il sera capable de se charger d'une famille, comment estimez-vous qu'il puisse
le faire, sainement, raisonnablement, sans nuire à son avenir, sans porter préjudice non plus à
autrui ?", C.M., (1906), p. 394.
124 Cf. "Les Avariés au Palais", C.M., (1901), p. 223.
125 GRASSET, Idées médicales, id., p. 13.
126 Dr. ROCHARD (chirurgien des hôpitaux de Paris), C.M., (1903), p. 492.
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