phtisie à ceux qu'elle tue" 86, comment y résister ? Et comment s'étonner de ce
qu'on ait si naturellement fait du tuberculeux, la proie de l'excitation sexuelle et
intellectuelle ?
Longtemps, la phtisie avait été considérée comme une maladie n'atteignant pas
que les poumons 87, mais tout le corps. Maladie générale de consomption, elle
s'accompagnait d'une représentation sociale destinée à détecter avant même la
découverte de sa contagiosité (par Villemin en 1865), ses signes avant-coureurs.
Or, l'embrasement sexuel et l'exaltation intellectuelle ont très vite fait partie du
bagage morbide et au début du XXème siècle, ils entrèrent dans la symptomatique
de la psychonévrose tuberculeuse observée par les médecins légistes pour atténuer
ou exclure les responsabilités : "Fréquemment, par suite d'une sorte d'exaltation
fonctionnelle, les aptitudes intellectuelles s'aiguisent d'une manière singulière.
Surpris d'abord, bientôt inquiets, les amis du sujet assistent à une floraison
intensive de ses qualités, à une poussée de son intelligence. La mémoire, le
jugement, la finesse du raisonnement, le sens critique, tous les ressorts de l'esprit
se mettent en branle, d'une manière, soit simultanée, soit successive, parfois avec
une ampleur incomparable. Le phénomène paraît d'autant plus saisissant, qu'en
même temps les forces physiques, loin de suivre une telle marche ascensionnelle,
demeurent stationnaires pour bientôt accuser une décroissance de plus en plus nette.
"D'une façon à peu près parallèle, un signe important s'est manifesté au début
du mal il consiste en une véritable excitabilité intellectuelle. Le sujet, alors qu'il ne
semble encore qu'un candidat à la tuberculose, se fait remarquer par ses projets
nombreux autant que divers... L'oeil brillant, l'air affairé, il se hâte, fiévreusement
pressé de vivre. Notre jeune poitrinaire veut être et paraître, il se montre partout, se
mêle à toutes les fêtes, où il s'épuise, victime d'une vanité inconsciemment
surexcitée" 88.
Entraîné par l'emballement de son esprit, le tuberculeux tombe dans une
"frivolité criminelle" que servira un égoïsme exacerbé. Voyant sans larmes, mourir
un entourage qu'il contagionne parfois volontairement, le malade égoïstique brûle
la vie qui lui reste dans les débordements sexuels. Observée dans la vie privée et
dans les sanatoriums, cette "fureur érotique" dégénère, entraîne à l'adultère, au
viol, à l'homosexualité, etc. Tous les médecins demandent une peine atténuée pour
les tuberculeux mais la part de la maladie n'est pas toujours facile à déterminer dans
l'accomplissement des délits.
La question inquiétait à ce point l'opinion qu'en 1902, la Chronique médicale
avait organisé une sorte de référendum auquel furent conviées les sommités
médicales de l'époque 89.
Très vite, les véritables raisons de cette excitation compensatoire étaient
apparues : le sanatorium favorisait les rencontres par l'oisiveté forcée, le repos
allongé, la copieuse nourriture et les distractions offertes (musique, danse, luge,
etc.). Les malades des dispensaires, des hôpitaux généraux ou des familles, étaient
bien loin du modèle passionné des romans !
Cependant, devant toute cette agitation, certains médecins continuaient
d'"excuser" médicalement les bacillaires : "l'hyperexcitabilité sentimentale et
génésique n'est pas constante, mais fréquente chez les tuberculeux. Elle reconnaît


86 Dr. GRASSET, Idées médicales, Paris, Plon, 1912, op. cit., p. 278, parlant de Clotilde de
VAUX (la femme d'Auguste COMTE).
87 Seule la tuberculose pulmonaire est prise en compte dans cet essai à cause de sa plus forte
proportion et de son symbolisme.
88 Dr. LETULLE, cité par G. ICHOK, "La psychologie des tuberculeux et la médecine légale",
HPML, XXXIV, (1920), p. 308.
89 A. CABANES, "Une légende à détruire", C.M., (1902), p. 677.
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