Avant de disparaître, les bacillaires auront contaminé leurs voisins, gardiens
provisoires des enfants.
Quant aux familles bourgeoises, elles sont menacées par leurs concierges ou
pire, leurs domestiques, qui trouvent dans les mansardes insalubres du 6ème ou du
7ème étage le même terrain morbigène que l'ouvrier dans son taudis.
Cependant, cette cascade de chutes ne menace pas que la sécurité bourgeoise,
elle pèse sur l'espèce dans son ensemble. A l'obsédante question du mariage s'est
adjointe une science de l'accouplement qui prend en compte les données
biologiques de l'addition humaine. Plus ou moins latente, cette alliance des
problématiques a suivi la rythmique du progrès scientifique avec un décalage
notable. Ainsi, en 1875, dix ans après la découverte de la contagiosité de la
tuberculose, ce qui inquiète dans le mariage des tuberculeux, n'est pas le risque
microbien, mais encore l'épuisement des facultés vitales par abus des plaisirs
sexuels. C'est qu'il s'est produit un véritable bouleversement dans le conservatoire
de la norme sexuelle qu'était originairement la famille. Attribuée à l'absence d'une
doctrine morale ou religieuse, la transformation de l'alcôve en lupanar est constatée
par les médecins : "Il se fait beaucoup plus d'excès sexuels dans l'état de mariage
qu'en-dehors de lui. J'ai eu constamment à lutter avec cette difficulté dans le
traitement des maladies utérines, et cela dans toutes les classes de la société. Il
semblerait que le lien du mariage devient la sanction de tous les abus sexuels, et
cela non seulement chez les gens légers et frivoles, mais chez beaucoup d'autres,
qui sont bons, pieux et consciencieux" 105.
De plus, pour la femme phtisique, la grossesse représente un risque qui
accélère la terminaison funeste.
Il faudra attendre la fin du siècle pour que les inquiétudes relatives à la
contamination, remplacent celles que créait la croyance en l'hérédité de la
tuberculose. La menace héréditaire avait alors mentalement changé de camp et
l'arithmétique syphilitique du mariage faisait désormais jaillir les problèmes à
rallonges. Voyons, pour illustration, un énoncé de cette problématique de l'héritage
biologique : "Un grand-père syphilitique peut-il léguer à ses petits-enfants, soit la
syphilis en nature, soit un effet, un dérivé quelconque de sa syphilis ?" 106. Dès
1891, le grand syphilographe Fournier (père) en était convaincu. Transmissible à la
seconde génération, l'hérédo-syphilis (syphilis de naissance due à des parents
syphilitiques) va distribuer aux petits-enfants les cadeaux pathologiques du
catalogue élaboré par le poison vénérien : "Voici la syphilo-toxine aux prises avec
l'être en développement et en incessante transformation. Suivant l'époque à laquelle
il est atteint, l'intensité, le degré de généralisation de l'intoxication, la résistance
qu'elle rencontre, le type dystrophique va se diversifier en d'infinies variétés depuis
la mort de l'oeuf, depuis la tare organique universelle et la dystrophie totale
(monstruosité, infantilisme, nanisme, gigantisme), jusqu'aux manifestations mono-
systématiques (rachitisme, faiblesse intellectuelle, épilepsie, idiotie, folie, troubles
de l'innervation sympathique, cyanose, ramollissement osseux, empoisonnement
thyroïdien, myxoedème, troubles de la circulation lymphatique, adénopathies,
ectasies), ou mono-organiques (insuffisance viscérale pulmonaire, hépatique,
rénale ou cardiaque) ou même la simple déviation, l'anomalie d'un organe ou d'une
partie d'organe, etc." 107.


105 Dr. H. BENNET, lettre adressée au British medical journal, reproduite in HPML, XLIV,
(1875), p. 194.
106 Dr. E. FOURNIER (le fils), Hérédo-syphilis de seconde génération, Paris, Rueff, 1905, p.
1.
107 Dr. JULIEN, Descendance des hérédo-syphilitiques, XIIIe Congrès international de
médecine, Paris, 1900, p. 353, rapporté par FOURNIER, op. cit., p. 9.
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