régicides, etc., étaient des habitués des lupanars et que souvent, ils avaient des
prostituées pour complices" 55. L'idée dominante d'alors était contraire et faisait de
la fille de noce "un exutoire indispensable à la santé du corps social ; sans la
prostitution qui est comme un égout par où s'échappent les mauvais instincts, les
penchants dépravés de l'homme, vous verriez ces instincts et ces penchants exercer
leurs ravages au milieu de la société" 56.
La menace syphilitique faisait vaciller cette certitude dans des lieux où les
normes du comportement sexuel, comble de l'affliction, étaient transgressées pour
se préserver puérilement de la contagion. Les proxénètes se faisaient soigneurs à
l'occasion et comme toute médecine aux mains des infidèles, provoquaient des
calamités : "J'ai soigné des vénériens pour des cachexies mercurielles plus graves
que les accidents qui avaient engagé à faire usage de préparations
hydrargiriques" 57 s'indignait le bon docteur Bergeret d'Arbois.
L'ignorance était considérée comme un obstacle insurmontable car, comment
leur faire comprendre où était leur bien si leur instruction et leur culture s'y
opposaient ? Parce que la morale imposait le silence en matière sexuelle,
l'acculturation et, a fortiori, la réduction des fractures sociales semblaient insolubles
partout : "Il y a une cinquantaine d'années, le ministère de l'Intérieur avait déjà noté
que : "la maladie vénérienne se répand principalement dans les classes les plus
obscures du peuple ; leur ignorance extrême les empêche de constater le danger
imminent de cette maladie, qui se propage d'une génération à l'autre et menace
d'ébranler les bases de la prospérité et la salubrité du peuple"" 58.
Plus redoutables que l'ignorance, les fausses certitudes laissaient entendre que
la syphilis préservait de la tuberculose, ou que les pratiques libertines garantissaient
d'une contagion qui ne pouvait suivre que les voies normales de la sexualité, ou
que la copulation avec une vierge débarrassait à tout jamais du mal. Rattaché à
d'anciennes logiques (la théorie de l'antagonisme, la loi de similitude, etc.), le
savoir des masses avait sa cohérence et repoussait l'innovation scientifique qui la
menaçait. Mais à l'autre bout de la problématique, si par malheur l'intelligence et la
culture se mêlaient à la dépravation, le profil du coupable émergeant de cette tourbe
humaine, risquait de dégénérer dans l'abomination d'un Lacenaire.
Souillure morale et physique, la prostitution alimentait le crime et la maladie,
particulièrement quand elle était clandestine. Des coureuses, sans profession, aux
varia mariées ou travailleuses, le "virus vénérien" atteignait 4 012 infectés sur
5 000, alors que 733 seulement avaient été contaminés par des filles en cartes ou
de maisons, soumises, contrôlées sanitairement 59.
Aussi, l'exutoire du crime, où la normalité d'une fonction naturelle se
déroutait, distribuait un châtiment qui faisait de l'homme un avarié et de sa
descendance des déchets.
Dans la série des femmes mercenaires qui font commerce de leur corps, les
innombrables nourrices étaient soupçonnées d'infecter quelquefois les enfants et,
juste retour des choses, les accusaient de les avoir contaminées en tétant .


55 Dr. BERGERET, "La prostitution et les maladies vénériennes dans les petites localités",
HPML, XXV, (1866), p. 351.
56 Id., p. 355 (BERGERET exprimant l'avis général contraire au sien).
57 Id., p. 354.
58 B. TARNOWSKY, "Lutte contre la syphilis" (discours inaugural du Congrès sur les mesures à
prendre contre la propagation de la syphilis en Russie), HPML, XXXVIII, (1897), p. 194.
59 Dr. Charles MAURIAC (Médecin à l'hôpital du Midi), "De la contagion des maladies
vénériennes dans la Ville de Paris depuis la fin de 1875 jusqu'au commencement de 1881",
HPML, VIII, (1882), p. 133.
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