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même ne sera pas donnée. Le nouveau règlement ne dit pas ce qu'on fera de
l'enfant. Espérons qu'on ne le jettera pas à l'eau"
96. Toujours placés aux extrêmes
du spectre de la pragmatique normalisatrice, l'Amérique fascine, épouvante et crée
un pôle d'argumentation géré par une logique féroce de l'exclusion. Chose rare
dans les revues d'hygiène, on fait à son propos des suppositions de comportement
qu'une longue pratique autorise : "Il paraît qu'aux Etats-Unis, tous les cuisiniers
sont soumis à un examen médical et bactériologique"
97, écrit un médecin pétri
d'envie et d'effroi curieusement mêlés.

D'une façon générale, cependant, l'attitude américaine est jugée
disproportionnée et inadéquate. Pour la tuberculose, une gradation dans le rejet
semble nécessaire et juste : "En prenant la liberté de demander à mes confrères
américains une sorte d'amnistie et une détente dans les mesures de rigueur contre
les immigrants plus ou moins suspects, j'exclurais sans pitié de cette indulgence
toutes les tuberculoses ouvertes, incontestables, que la salubrité de la vie américaine
ne guérira pas et qui constitueraient un danger social permanent"
98.

Le nouveau monde, perçu comme une "puissance merveilleuse (capable) de
rajeunir et de refaire les débris d'humanité qu'on lui envoie"
99, est mandé par
l'hygiène européenne pour sauver la foule des émigrants, de l'obscurité et de la
malnutrition phtisiogènes. Il devrait "les accueillir, leur venir en aide et, ne fût-ce
que par intérêt,
les nourrir pour les sauver de la maladie"
100. Et pour convaincre
les Américains, l'homme de science se mue en comptable : "En matière
commerciale, l'argent est moins rare que les hommes, et les dépenses faites pour
épargner le capital humain sont largement compensées. L'Amérique a tout intérêt à
sauvegarder ces hommes venus des champs, pour la plupart, et sortis de la terre,
l'alma mater, et qui, en venant chez elle, renouvellent le noyau solide de ses
meilleures énergies, - n'ont-ils pas été l'origine de sa constitution nationale ? - On
sait que nombre de jeunes gens porteurs de tuberculose latente sont devenus de
vigoureux soldats, des chefs illustres qui, au cours d'une longue carrière, ont rendu
de véritables services à leur pays (Kelsch, Colin)"
101.

Cependant, si l'hygiène autorise le voyage du bacille, elle veille
soigneusement à la prophylaxie et la méfiance à l'égard des suspects, voyageurs de
passage, marchandises (on se méfie des poussières bacillifères), vaches
tuberculeuses, devient une arme sûre pour permettre, dans tout l'espace, la
pénétration du dogme hygiénique.

Ainsi, le glissement est opéré. Ce n'est plus le tuberculeux qui circule, ni
même la tuberculose ou le bacille, mais l'hygiène. Matrice de l'organisation des
voyages sanitairement bien conduits, le Touring-Clubse mue en représentant du
commerce hygiénique : "Avant son intervention si active et si fertile, il était
dangereux, au point de vue sanitaire, de voyager et, d'autre part, les villes et les
villages de France ne connaissaient pas le confort. Grâce à l'initiative du Touring-
Club, les villages les plus reculés commencent à connaître l'hygiène. Grâce à ses
efforts et à son concours financier, les plus humbles auberges deviennent propres et
confortables"
102.


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96(Anonyme) "Revue des journaux", "Protectionnisme antituberculeux",HPML, XLVI, (1901),
p. 472.
97E. de POMIANE POZERSKI, "La cuisine et l'hygiène", RHPS, XLVI, (1924), p. 905.
98BARADAT, id., p. 494.
99Ibid., p. 495.
100Ibid.
101Ibid., Les auteurs cités sont des sommités en matière de tuberculose.
102Ibid., p. 497.

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