1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26

manie, non pas comme eux, la matière morte, inerte, sans réaction ni résistance,
mais des marbres animés, qu'il faut tailler dans le vif, qu'il faut modeler jusque
dans le sang, dans les nerfs, dans le mouvement et la volonté ?"
63

Appliqué dans toute l'Europe, l'art du régime s'était encore perfectionné et la
tentation gagnait alors la science de l'appliquer à l'homme : "Nous serions donc en
droit, dès à présent, de conclure des animaux à l'espèce humaine, et de tirer des
observations précédentes, les conséquences hygiéniques qui en découlent". Guérin,
déjà, avait montré les causes alimentaires du rachitisme chez des enfants que Leuret
appelait "des échappés de mauvaise nourriture", c'est-à-dire ceux que les diverses
bouillies substituées au lait n'avaient pas fait succomber d'une quelconque diarrhée.
Les effets de la gymnastique observés chez les boxeurs, coureurs et jockeys, en
dépit de l'obstacle moral que créait le fondement même de ces activités : absurdité
de l'occupation, cupidité et orgueil, rappelaient les objectifs que s'était fixés la règle
cyclique des méthodistes : "Recorpovativis utendum viribus, ità ut, rejectis
vitiosis carnibus, ac renascentibus novis, reformata organa redeant ad
sanitatem".

Comment expliquer l'abandon d'une logique si simple par le médecin ? "Il faut
s'étonner de ce que les médecins, à force de science, et souvent de subtilités
scientifiques, se soient tellement éloignés de la voie droite et naturelle, qu'ils aient
besoin d'y être ramenés par des empiriques ignorants, qui se contentent d'un
raisonnement grossier, appuyé sur des observations nombreuses et positives"
64. A
la place de la physiologie descriptive qui avait tout donné et qui serait "morte
comme le cadavre qu'elle tourmente vainement avec son scalpel (...) il nous faut
(...) une physiologie qui descende dans l'intimité de ces tissus, qu'on prenait
autrefois pour des éléments"
65. Seule une science nouvelle pourrait expliquer et
rationaliser les effets et les nécessités d'un régime anthropogène et déjà, dans les
casernes, la conditiondu militaire offrait un terrain propice à cette science sans
pilote que l'hygiène allait désormais nourrir dans son sein.

La question alimentaire des soldats a déjà été esquissée de façon éparse dans
cette étude. Retenons-en que si les grands principes, qui régissaient alors les
croyances et en vertu desquelles nous avons traité la matière, étaient observés, ils
l'étaient au moindre prix. La classe ouvrière elle-même mangeait du pain de
meilleure qualité (mieux bluté) et beaucoup plus de viande (semblable). L'étude des
ordonnances royales de l'Ancien Régime montrait même que le soldat de Louis
XIV et de Louis XV recevait plus de nourriture que celui de 1848
66. En campagne,
la situation s'aggravait et les hommes qui avaient encore faim s'achetaient à manger
avec des économies qui provenaient généralement de leur famille et augmentaient
ainsi, très injustement, la créance humaine d'une créance en argent évaluée à
100 000 francs par régiment
67. Avec la généralisation de la conscription, l'argent
de poche (l'expression est déjà en usage au XIXème siècle) envoyé par les parents
inquiets, fournissait l'occasion aux recrues de prendre des habitudes malsaines qui
menaçaient la discipline.

A la fin du siècle, la nourriture s'était améliorée, mais les officiers chargés de
veiller aux besoins et à la qualité de l'alimentation des troupes, se révoltaient et
s'indignaient que sortants par exemple de Saumur, ils fussent ainsi pris pour des
majordomes.

IMAGE Imgs/guilbert-th-2.1.101.gif

63Cité par ROYER-COLLARD sans précision, ibid., p. 218.
64Ibid., p. 226.
65Ibid., p. 227.
66DESJOBERT (ancien député), "Mesures à prendre pour l'amélioration de l'état sanitaire de
l'armée", HPML, XXXIX, (1848), p. 305. Ordonnances des 19/12/1673 ; 2/1/1674 ; 1/11/1675 ;
10/12/1725 ; 8/5 et 13/7/1727.
67Id., p. 310.

170