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redoublements, et elle devient nécessairement contagieuse ; car sitôt qu'un Etat
augmente ce qu'il appelle ses troupes, les autres, soudain, augmentent les leurs ; de
façon qu'on ne gagne rien par là que la ruine commune. Chaque monarque tient sur
pied toutes les armées qu'il pourrait avoir si ses peuples étaient en danger d'être
exterminés, et l'on nomme paix cet état d'efforts de tous contre tous. Aussi
l'Europe est-elle ruinée." 
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Protectrice par sa potentialité mortifère, l'institution s'élabore, s'adapte et se
perfectionne au fil du temps et des emplois.


La quête institutionnelle


Très tôt la France eut un embryon d'armée permanente. En 1444 Charles VII
choisit les meilleurs parmi les hommes de guerre et en fit un corps de quinze
compagnies de cent hommes armés
4chacune. Ces compagnies d'ordonnance
furent détachées dans le pays pour y veiller au bon ordre et, afin de les rétribuer, la
taillle devint perpétuelle. Quatre années plus tard (1448) l'ordonnance de Montils-
les-Tours décréta que dans chaque commune serait choisi l'homme le "plus droit et
le plus aisé pour le fait et exercice de l'arc". Armés et habillés aux frais de la
paroisse ces francs archers ne servaient qu'en cas de guerre. Supprimés en 148O
par Louis XI qui les remplaça par des Suisses et une garde écossaise tout
spécialement chargée de sa sûreté, ils firent une réapparition sous Charles VIII puis
disparurent définitivement.
Indispensable pour se défendre de l'étranger et des vassaux turbulents, l'armée
permanente grossissait et l'impôtaugmentait à mesure. La dangerosité de ces gens
était si grande (Brantôme les décrit comme gens de sac et de corde, marqués à
l'épaule d'une fleur de lys, porteurs de longues barbes et de cheveux hirsutes),
qu'on les licencia pour les remplacer par des étrangers (Suisses et lansquenets
allemands) plus sûrs mais plus chers.

Les états généraux de Tours, en 1484, révélèrent le mécontentementgénéral
que suscitait cette armée mercenaire : "La France, disaient-ils, quand elle n'aurait
aucunes troupes mercenaires ne pourrait être regardée comme un état sans défense ;
elle a dans son sein une noblesse brave et aguerrie, obligée par son institution ainsi
que par la nature de ses possessions, de voler à la défense de la patrie ; et elle
nourrit un peuple immense et naturellement belliqueux, qui se fait un plaisir et un
devoir de verser son sang pour son roi. Pendant bien des siècles elle s'est contentée
de ses défenseurs naturels et loin qu'elle se trouvât alors exposée aux injures de ses
voisins, elle a fait la loi à tous les peuples de l'Europe. Les armées de mercenaires
dont on nous vante aujourd'hui l'utilité, doivent leur première institution à des
tyrans soupçonneux, qui pensaient n'avoir pas d'autres moyens de se dérober à la
vengeance publique. Qu'on ne vienne donc plus nous dire qu'ils sont les bras du
corps politique, et qu'en eux repose le salut de l'Etat. Un Etat est heureux et
tranquille lorsque tous les ordres font des voeux pour la conservation de celui qui
en est le chef."
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L'institution se perpétua malgré ces remontrances mais l'importance croissante
accordée à l'infanterie dans les armées étrangères voisines obligea à reconsidérer
l'espèce de ramassis précipité d'hommes qui en tenait lieu en France au début des


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3MONTESQUIEU cité par B. de CHATEAUNEUF, "Essai sur la mortalité dans l'infanterie
française", HPML, X, (1833), p. 239.
4Chaque homme armé avait à sa disposition cinq hommes : trois archers, un écuyer et un page, ce
qui porte à 6OO l'effectif de chaque compagnie et à 63OO celui de l'armée permanente entière.
5B. de CHATEAUNEUF, id., p. 242.

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