l'éventualité sanguinaire d'une guerre civile, les expéditions d'un nouveau genre
qui surgissaient alors pour rétablir l'ordre du monde en des lieux aussi exotiques
que Constantinople, demandaient une armée servile et solide, à la botte du
politique.
L'impossible perfection des systèmes extrêmes, extraordinairement adaptés
aux pays qui les abritaient, appelait la France à leur rejet.
L'idéal étant de pouvoir disposer d'hommes à la mesure des nécessités
politiques, les corrélatives variations d'assiette de l'impôt du sang trouvaient dans
la possibilité du remplacement un subtil registre de liberté compensatoire. Ainsi, en
1824, le doublement du contingent a-t-il bénéficié de l'organisation d'un marché
national du remplacement que la loi Gouvion Saint-Cyr avait permis six ans plus
tôt. Parallèlement, ce marché favorisait la professionnalisation d'un remplacement
souvent fait par d'anciens militaires. Conjuguant ainsi la possible pression
démographique de l'armée nationale avec la perspective de garder dans ses rangs
des hommes aguerris, le système jouait tout aussi impunément sur la durée du
service.
Oscillant de 6 à 7 ou 8 années, la durée du service était longue, très longue,
beaucoup plus longue que ce qu'exigeait techniquement la formation. Mais appris
en six mois, le métier des armes ne faisait pas d'un homme un soldat : "Il y a
quelque chose que l'on ne donne pas en six mois, c'est l'esprit militaire. Ce qu'il
faut pour faire un bon soldat, ce n'est pas seulement la bravoure, c'est la vertu
guerrière, c'est la tenue, la solidité, la confiance en soi (...). Quand une armée est
trop jeune, elle raisonne sur tout, elle juge tout haut ses généraux." 7 En d'autres
termes il est des vertus qui ne viennent qu'avec une longue pratique : "la discipline,
la tempérance, l'habitude de la privation, qualités que n'auront jamais les soldats
d'un ou deux ans." 8 Qualités qui sont de l'ordre de l'abnégation et de la
résignation. Contrairement à sa légende, Napoléon reconnaissait aussi qu'il fallait
du temps pour faire un soldat et que s'il avait eu à Wagram les soldats expérimentés
d'Austerlitz, la monarchie autrichienne aurait cessé d'exister. L'ennemi, du reste,
ne s'y trompait pas et les Espagnols s'étaient fort réjouis de voir la jeunesse des
conscrits que Napoléon avaient envoyés avec le Général Dupont pour envahir le
pays.
Sans la porte de secours éventuel qu'offrait le remplacement, la durée du
service n'aurait jamais pu rester aussi longue, et les révoltes de Vendée qu'avait
favorisées la première conscription, soigneusement devancées après la pacification
par la dispense d'une douzaine de départements de l'Ouest, auraient pu se
généraliser.
La conscription avait toujours été mal accueillie par les Français et on l'accusait
même d'abâtardir la race : "La conscription n'a pas seulement détruit les générations
qu'elle a frappées ; elle a flétri dans ses sources la vie des générations à venir. En
levant toujours du pays l'élite des jeunes gens, elle ne laissait dans l'intérieur de la
France, que des infirmes ou des valétudinaires. Alors il ne se contractait de
mariages qu'avec des militaires usés par les fatigues de la guerre, ou des
adolescents à peine sortis de l'enfance, qui se hâtaient de chercher, dans ces liens
prématurés, un abri contre l'inflexible rigueur de la loi. Tant d'unions mal assorties
n'ont pu produire qu'une race abâtardie, et l'on en trouve la preuve dans
l'agmentation du nombre des réformes depuis quelques années. D'après le rapport


7 Id., p. 283
8 Ibid., p. 284.
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