des voix s'élevaient non pas pour en exiger la suppression mais pour en critiquer
les dangers et éviter leur consécration constitutionnelle.

Ainsi ces contestataires reconnaissaient-ils que le paysan n'était pas mieux
traité que le bourgeois et trouvait bien souvent quand il rentrait au pays, sa famille
appauvrie et sa carrière tardivement compromise. Le dégât social ne s'arrêtait
d'ailleurs pas au paysan, et touchait également l'ouvrier : "Ceux que vous n'enlevez
pas à la charrue, vous les tirez des ateliers, quand ils ont à peine fait leur
apprentissage ; et quand ils quittent le service, ils ont oublié leur état. Eh bien, ces
hommes ainsi déclassés restent dans les villes, où ils sont le plus souvent en proie à
la misère, ils savent se servir des armes, ils ont l'habitude du commandement, et ils
ont faim ; etvous ne voyez pas là un danger !" ¹⁴

Cependant, si la désapprobation révélait la nature inégalitaire du remplacement
c'était en cortège d'une adversité plus générale et encore plus virulente sur l'essence
nationale d'une armée qui pouvait faire de chaque mécontent un révolutionnaire ou
pire, un meneur d'hommes. En militant, par cette voie, pour une armée de métier,
les réactionnaires confortaient l'idée que le remplacement était une conquête
républicaine et facilitaient ainsi le maquillage d'un privilège de fortune en rite
philosophique alors qu'il était surtout une recherche politique d'apaisement.

Quelques statistiques montrent l'importance numérique (il en faudrait des
qualitatives) croissante du remplacement. Ainsi en 1806, seulement un huitième des
soldats étaient remplaçants alors qu'en 1846, ils étaient près d'un quart. ¹⁵

En 1855 la loi dite "d'exonération" supprima le remplacement .Il suffisait de
payer une prime d'exonération pour s'affranchir. Ceux qui restaient recevaient une
prime. Les rengagements après examen d'aptitude physique se faisait pour 2, 3, 4,
5, 6, ou 7 ans et les rengagés formèrent alors un tiers des effectifs (contre un
vingtième auparavant). En fait, le changement facilitait le remplacement : il n'était
plus besoin de chercher sa victime par l'intermédiaire d'abusives compagnies
d'entremetteurs.

La défaite de 1870 imposera le modèle prussien dans les esprits et la
suppression définitive du remplacement, à partir de janvier 1873, sera accompagnée
d'une réduction de la durée du service.

Sachant ainsi ce que l'on voulait faire des recrues, le tri, déjà s'amorçait et les
critères biologiques allaient se préciser.

2. Le tribunal biologique

De tout temps, une certaine vigueur a été requise pour le métier de soldat mais
les conscriptions généralisées ont fait découvrir un état biologique de la population
si lamentable qu'il fallut très vite apprendre à trier dans les hommes, qui pourrait
résister aux privations et aux fatigues de la guerre. Ceux qu'on appelait les non-
valeursétaient alors considérés comme des fléaux, ils embarrassaient les armées et
les menaçaient d'épidémies. Véritables criminels endossant les peurs biologiques de

14_{Discours du général de LAMORICIERE, ministre de la guerre, séance de l'Assemblée Nationale}
du 20 octobre 1848, HPML, XLI, (1849), p. 290.
15_{BOUDIN, ibid.,p. 287. Rappelons qu'entre temps, la loi GOUVION SAINT-CYR (1818)}
avait organisé un marché national de remplacement.

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