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leur époque, les réformés vivaient dans une infâmie qui dépassait celle des
délinquants militaires eux-mêmes. Facilitant l'entreprise statistique, le recrutement
va faire voir la population sous un nouveau jour. Une incessante activité
cartographique l'accompagne et de la France herniaire à celle, terrible, de la
tuberculose, la géographie de la dégénérescence se profile. Figeant dans l'anxiété,
une population qui attendait désormais sa grâce de la science, le miroir des nombres
modifia les conduites politiques et administratives.


La justice des saignées


L'inégalité des aptitudes militaires entre les départements provoqua une sorte
d'injustice démographique qui donna lieu à diverses tentatives correctrices dans le
mode de répartition des conscrits. Dans certains départements la moitié des hommes
valides retournaient à la vie civile quand d'autres n'en récupéraient qu'un
cinquième. A cette injuste répartition de la saignée humaine s'ajoutait l'inégale
saignée financière. Les départements qui avaient le moins d'hommes valides, une
fois qu'ils avaient donné la part requise n'avaient presque plus de bons numéros
prêts à se vendre pour remplacer les mauvais. Les remplaçants importés étaient
plus chers et plus rares. Prenons l'exemple du département de l'Yonne : de 1835 à
1839, il lui avait fallu 1156 remplaçants dont 73 seulement, trouvés dans le
département. Pour payer chaque année une moyenne de 200 remplaçants il lui avait
fallu exporter 3 à 400 000 francs,
16soit l'équivalent de l'ensemble de sa
contribution personnelle et mobilière.

Sous l'Empire, la conscription était énorme et récoltait tous les hommes
valides, aussi la question du reste sain, laissé à la vie civile, ne se posait pas
encore. Les appels faits pendant la Restauration étaient faibles et sans
conséquences. La Monarchie de Juillet innova ; avec une volonté patente d'équité,
elle fixa les nombres de conscrits à fournir en établissant des moyennes sur la
production des années précédentes. Mais l'inégalité d'aptitude n'a que faire des
moyennes et certaines années, des cantons se retrouvaient saignés à blanc. Ce terme
de production n'était pas employé à l'époque mais il correspond à l'opinion
générale que certaines régions étaient plus fertiles en hommes valides que d'autres,
ce qui en fait n'était jamais établi une fois pour toutes. Ainsi, après l'épidémie de
choléra, en 1832, l'Yonne en eut quelquefois deux fois moins d'un canton à
l'autre. Il y avait des régions où tout homme valide était touché par le recrutement et
où le tirage au sort n'avait plus aucun sens. Certains départements étaient même
franchement dangereux à habiter pour qui ne voulait pas servir. De la Dordogne aux
Pyrénées-Orientales, les chances d'être recruté variaient en 1841, du simple au
double. Or, ni la proportion des exemptions légales dont le nombre était quasiment
fixe, ni l'éventualité d'une inégale sévérité des conseils de révision qui aurait été
immanquablement suivie de congés de renvois une fois l'incorporation effectuée,
n'expliquaient cette différence de production. Seule la répartition proportionnelle
des conscrits une fois jugés aptes aurait pu répondre à ce besoin de justice mais la
généralisation de la conscription supprima le problème avant que cette correction ne
puisse s'effectuer.


La métrologie des aptitudes


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16Le prix moyen d'un fantassin était de 1800 francs et celui d'un cavalier de 2400 francs, cf.
BOUDIN, ibid., p. 276.

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