Le code biologique sur lequel se fondaient les jugements du conseil de révision
n'a pas beaucoup varié au cours du XIXème siècle. En premier lieu, la question de
l'âge de la conscription n'avait pas été déterminée par l'hygiène. Des raisons
d'ordre social l'avaient fixée à 20 ans depuis 1792. On considérait alors que les
études ou l'apprentissage étaient terminés et qu'il fallait faire son service avant
d'entamer une carrière. Comme les deux tiers de la population étaient des ruraux,
les 20 ans des enfants induisaient une jeunesse relative des parents qui leur
permettrait de continuer les travaux en attendant le retour de leurs conscrits.
Le critère de la taille est à juste titre le pilier de l'imagerie d'Epinal des conseils
de révision. Dès le premier tirage au sort (1701), une ordonnance de Louis XIV
l'avait fixée à un minimum de 5 pieds, soit 1,62 m. Réduite à 1,54 m en 1804 puis
ignorée pour tout homme valide à la fin de l'Empire, la loi Gouvion Saint-Cyr
(1818) la remit en vigueur à 1,57 m. Puis elle fluctua jusqu'à la fin du siècle de
quelques centimètres.
L'exigence d'une taille minimum avait beaucoup d'adversaires chez les
médecins qui savaient que la croissance pouvait se prolonger au-delà de 20 ans et
qui voulaient prendre en compte le poids et le périmètre thoracique. Ces critères,
s'ils ne sont pas de suite entrés dans le domaine réglementaire, ont cependant été
envisagé et une loi de 1832 a posé le principe de l'intervention médicale pour juger
les hommes dits faibles de constitution. A partir de cette date, les médecins
militaires ont eu de plus en plus d'importance aux conseils de révision. Véritables
experts, champions de l'examen rapide, ils savaient d'expérience ce que la vie
militaire allait faire de ces corps qu'ils devaient juger: "croit-on qu'il y ait en France
beaucoup d'hommes de 20 ans et de 1,56 m ou 4 pieds 9 pouces, capables de faire
de 25 à 50 kilomètres par jour avec un fardeau de 30 à 31 kilogrammes, c'est-à-dire
avec 60 à 62 livres ? S'il se trouvait encore des législateurs disposés à se faire
illusion sur ce point, nous les engagerions à se faire rendre compte du nombre de
nos soldats, qui, pendant les marches un peu prolongées, sont obligés, tantôt de
mettre leur sac et leurs armes sur la voiture, tantôt de s'y placer eux-mêmes ou
d'entrer à l'hôpital." 17
Cependant, l'importance de la taille, dont on avait depuis longtemps établi les
liens avec l'augmentation du bien être 18, n'a jamais vraiment été remise en
question car la cérémonie du conseil de révision est apparue au fil de sa
médicalisation comme un filtrage grossier que la médecine militaire pourrait affiner,
une fois l'incorporation effectuée, par divers autres examens.19 Mais les médecins
ne cesseront de réclamer des instruments d'investigation et un temps d'observation
plus long pour éviter aux hommes fragiles la morbidité de la caserne. En déclarant
le service personnel obligatoire pour tous les jeunes gens, qu'ils soient dispensés
légalement ou conditionnellement, la loi de 1872 créa un service auxiliaire qui
réunissait les bons numéros pendant six mois. Tous les inscrits furent examinés à
partir de cette date 20 et bon nombre de jeunes gens jadis exemptés étaient pris et
pratiquement mis en observation dans ce service réduit. Aussi, l'aptitude militaire,
qui n'était que de 740 sur mille sous le régime de la loi de 1832, passa-t-elle à 828
de 1872 à 1877. 21 Plus précis, les calculs d'un grand spécialiste d'hygiène


17 BOUDIN, "Etudes sur l'état sanitaire et la mortalité de l'armée", HPML, XLII, (1849), p. 334.
18 G. CARLIER (médecin-major de l'armée), "Des rapports de la taille avec le bien être", HPML,
XXVII, (1892), p. 294.
19 Une visite médicale avait lieu lors de l'incorporation et à l'arrivée au corps depuis 1894.
20 Auparavant, un tiers ne l'était pas et ceci problématise les statistiques jusqu'à 1872. Jusqu'à la
fin du siècle on ne notait pas non plus la taille des réformés et l'on ne peut donc savoir à quel
point les Français étaient petits.
21 G. LAGNEAU rapportant les calculs de DARDIGNAC à l'Académie de médecine, séance du 27
décembre 1881, HPML, VII, (1882), p. 201.
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