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Ces médecins, bien évidemment seront des médecins-légistes qui iront dans
"les divers hôpitaux parisiens recueillir la parole hautement autorisée des maîtres de
la psychiatrie française."
32

Mais très vite, la complexité nosologique de la pathologie psychiatrique apprit
aux médecins militaires que la détection des déséquilibres est très problématique
dans l'armée elle-même. Alors comment établir un filtrage rationnel au conseil de
révision et au bureau de recrutement quand les aliénistes ne parviennent pas encore
à s'entendre sur la définition de l'aliénation mentale et que certains l'analysent du
point de vue social ou médico-légal quand d'autres, déjà, en font l'observation
clinique.

Avant 1914, le suicide lui-même était considéré comme un acte
d'indiscipline 
33. Sorte de désertion suprême, il frappait davantage les soldats
cantonnés en Algérie et cette constatation rejoint celles que faisaient les hygiénistes
du début du XIXème sur la nostalgie des marins de conscription, jetés dans des
casernes flottantes où ils subissaient à l'époque des châtiments corporels
34et
souffraient mortellementde leur éloignement familial.

C'est précisément parce que l'armée fait du déchet humain35que la mesure
des aptitudes est importante et concerne tant l'hygiéniste.


Le peloton de malingres


L'armée avait toujours été considérée socialement comme le lieu où les familles
se débarassaient de ceux dont elles n'avaient rien pu faire. Cependant, une aptitude
physique minimum était de règle. Or voilà qu'au début de notre siècle, un médecin
belge eut l'idée pour le moins originale de concevoir un "bataillon hygiénique" qui
réunirait les plus faibles. "Au lieu de les renvoyer dans la vie civile, où la plupart
sont exposés à succomber faute de soins, pourquoi ne pas les accueillir et les
fortifier par une hygiène intelligente ? L'armée serait ainsi une école de santé."
36

Au XVIIIème, un médecin avait déjà établi un "projet pour conserver l'espèce
des hommes bien faits, réserver les hommes vigoureux pour la culture des
terres et augmenter le nombre des soldats.
"
37Il s'agissait ici de réserver à une
profession qui consistait à se faire tuer, des hommesparadoxalement repoussés de
la vie militaire et opérer ainsi dans la race une sélection de reproducteurs qui
fourniraient nombre de soldats...

Il y a dans ces deux modes fantasmatiques de recrutement un souci commun
d'obvier aux conséquences biologiquement désastreuses que l'armée avait sur les
hommes. Au XXème siècle toutefois, l'idée des pelotons de malingres est surtout


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32Ibid., p. 50.
33Les statistiques officielles du suicide dans l'armée n'ont commencé qu'en 1862 et montrent une
diminution générale du phénomène. Cf.J. des CILLEULS, "Le suicide dans l'armée française",
HPML, XIII, (1910), p. 508 où l'on peut trouver des graphiques.
34Pour une erreur de manoeuvre, le tarif était de 25 coups de corde à un gabier de babord. cf.J.
SANTI, "De la nostalgie à bord des navires de guerre", HPML, XVI, (1836), p. 310.
35Le terme est très fréquemment employé par les hygiénistes.
36Cf. C.M., (1904), p. 480. Il s'agissait du docteur Le CAMUS.
37Id.

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