campagnes. En 1534, François 1er décida de former une armée permanente
composée de sept légions de six mille hommes pris dans la même province qui leur
donnait aussi son nom. Pour ce faire, il augmenta les impôts et fit un emprunt aux
bourgeois de Paris, créant ainsi la première rente sur l'Etat.
En 1688, menacé par toute l'Europe, Louis XIV chargea son ministre Louvois
d'organiser la première levée de milices perpétuelles et dès 1701 eut lieu le
premier tirage des hommes au sort. L'armée de métier, où l'on embauchait du
soldat quelquefois par la force, se doublait donc d'un effectif de conscrits prélevé
dans les paroisses après tirage au sort. La possibilité d'y échapper en payant 75
livres transforma pour longtemps l'armée en un rassemblement hétérogène de
malchanceux pauvres et d'hommes de rechange souvent professionnels.
La Révolution fit de chaque citoyen un soldat et l'armée cessa d'être un corps à
part pour devenir l'image même de la nation dont elle devait défendre la liberté. La
création de la garde nationale, basée sur le volontariat, est le prototype institutionnel
de cette conception qui déprofessionnalise le soldat en lui permettant de défendre
ses propres intérêts. Mais la réalisation de l'idée demandait une organisation longue
et difficile, qui conduisait quelquefois à l'anarchie. En 1793, la menace se précisant
aux frontières, l'insuffisance des levées et des volontaires contraignit à la
réquisition permanente (décret du 24 août). Cinq années plus tard, la gigantesque
consommation d'hommes du Consulat trouva dans une loi du Directoire (la loi
Jourdan de 1798) l'outil qui força tout le monde à partir au service militaire en
supprimant même la possibilité de se faire remplacer. Cette conscription ne se fit
pas sans résistance et la maigre faculté de remplacement que la loi avait
exceptionnellement conservée se transforma vite en brèche impossible à colmater.
Dès 1800, la logique même des croyances en matière d'institutions militaires fit de
ce compromis éminemment inégalitaire une structure d'assouplissement
indispensable à la conciliation des intérêts en jeu.
Périodiquement remis en cause, le remplacement dura jusqu'en 1872 et ne céda
que sous la menace d'une guerre que l'esprit de revanche préparait depuis Sedan.
Basé sur l'idée que l'impôt du sang était une créance cessible, il permettait de
cumuler les avantages de l'armée de métier et ceux de l'armée nationale.

les bénéfices du remplacement

L'efficacité guerrière dépend de quelques facteurs essentiels : le nombre, la
compétence, et la fidélité. Or l'inégale privilège que leur accordent les types
extrêmes d'armée impose la recherche d'une voie moyenne et c'est pourquoi, au
XIXème, l'observation de l'Angleterre, qui a une armée mercenaire et de la Prusse
où tout le monde est appelé, alimente la réflexion de tous les stratèges français.
Le soldat anglais, engagé pour 10 ou 12 années est un professionnel soucieux
de ses conditions de travail. "Il a quelques défauts inhérents à la nation : il veut être
très bien nourri ; il demande qu'on ne le fasse pas trop marcher ; il veut du
confortable." 6 Ce soldat choyé et payé convient pour un effectif léger qui suffit en
temps ordinaire. Mais de grandes crises, comme l'envahissement, exigent du
monde et c'est pour cette raison que la Prusse avait généralisé le service militaire.
Sans frontières naturelles, son existence même reposait sur l'importance numérique
de son armée. Mais une armée nationale, si elle est efficace pour défendre la nation,
risque de perdre son enthousiasme dans les guerres politiques. Conjointement à


6 Discours de Thiers, séance de l'Assemblée Nationale du 20 octobre 1848, in HPML, XLI,
(1849), p. 282.
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