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L'hygiène hospitalière était peut-être encore plus menacée car, aux questions
matérielles, s'ajoutait l'incompétence du personnel subalterne (les hôpitaux civils
n'étaient guère mieux servis, car les congrégations religieuses y règnaient et elles
sont restées longtemps hostiles au pastorisme). En 1908, on ne se contentait
d'ailleurs plus d'utiliser des rengagés ignorants ; comble de l'insoutenable, on y
prenait des femmes : "Cette mesure, en-dehors du principe de la présence de
l'élément féminin auprès du soldat hospitalisé, a soulevé de judicieuses critiques et
provoqué d'acerbes polémiques" 119. Les "dames stagiaires" avaient transformé les
salles d'hôpitaux en salon ! Or la réparation des hommes, des vrais, exigeait un
service "assuré sans afféterie et sans ostentation (qui) reven(ait) à des
professionnels de choix et recrutés avec soin" 120.
Les médecins militaires, eux, étaient en trop grand nombre pour
l'administration qui en réduisait les effectifs par retraite anticipée, tandis que
certains préconisaient l'emploi supplémentaire de médecins civils militarisés
(sic), tant les mesures prophylactiques nouvelles et l'augmentation des recrues
demandaient de personnel. Et devant tant d'avarice, les hygiénistes réclamaient une
étude comparative entre le budget de la santé et la mortalité militaire. On étudiait
bien les variations de la morbidité grippale du nord au sud !
Mais il suffisait en fait d'observer que le budget était resté pratiquement le
même pendant des années : 8 millions de francs, alors que trente ans auparavant, il
était de 14 millions. L'année cruciale de la décision avaricieuse était 1882. Les
républicains voulaient se démarquer de la politique économique des conservateurs
qu'ils avaient, progressivement, partout évincés. En 1882, le krach de l'"Union
générale", banque qui avait été fondée avec l'appui des royalistes et des
catholiques, avait été le premier symptôme en France de l'arrivée de la dépression
économique mondiale. Dans la volonté de se distinguer d'une gestion à laquelle ils
imputaient la crise, les républicains abandonnèrent leur politique traditionnellement
favorable à l'hygiène et au soldat. "En feuilletant les collections du Journal Officiel,
on est surpris du peu de place occupé dans la discussion du budget par les chapitres
du Service de santé ; quelques chiffres, toujours les mêmes, peu élevés, pas ou peu
de texte ; et la conclusion "adopté" termine chaque alinéa dans son laconisme
psalmodique de complainte endormante" 121.
Bien sûr, tout le monde s'indignait devant la morbidité des casernes, mais
"après cette belle effervescence à la tribune, les commissions restent trop longtemps
muettes ; l'hygiène militaire aura à se débrouiller par ses propres moyens, nuls
d'ailleurs, condamnés au néant par manque de fonds" 122.
En bref, l'hygiène militaire n'était pas prête de recevoir les 75 millions qu'il
lui aurait fallu pour ses hôpitaux et les 800 millions que nécessitait la retrempe
pastorienne des casernements. Il suffisait d'ailleurs, pour comprendre, de voir
qu'en 1908 encore, les quelques milliers de francs qu'il aurait fallu dépenser en
canules dans les infirmeries et en verreries dans les laboratoires pour examiner les
excreta typhoïdiques et organiser la prophylaxie des maladies vénériennes, avaient
créé de telles difficultés budgétaires, qu'on les avait repoussées à l'année suivante.
La question des subsistances affichait la lésinerie dans sa sémantique ("viande
à soldats") et cette acceptation-même montre l'impérieuse nécessité où était tenu le
pouvoir politique : la progression de la conscription et les dépenses militaires sans
cesse envenimées lassaient les Français et il n'était pas question de leur faire payer
davantage pour l'armée. Aussi, les hygiénistes réclamaient-ils une plus juste


119 Ibid., p. 460.
120 Ibid.
121 Ibid., p. 461.
122 Ibid., p. 462.
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