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cours nouvelles, outrageusement ventilées occasionnaient bien souvent. Alors, les
immenses couloirs, les escaliers multiples, les grandes fenêtres opposées, tout ce
dispositif architectural qui donnait un appareil respiratoire de pierre aux nouveaux
bâtiments, fut accusé de tous les maux. Trop vite refroidis car trop bien ventilés, les
locaux neufs "incitaient les soldats à supprimer la ventilation artificielle, à se
calfeutrer, favorisant ainsi à la fois la toxémie et l'exaltation de la virulence
microbienne, tous moyens qui concourent à favoriser la tendance épidémique" 105.
Et l'image de l'homme en sueur recevant un coup de froid, de revenir
inlassablement sous la plume des hygiénistes militaires : "Dans la nuit, beaucoup
s'étendent tout nus sur leur lit ; peu se recouvrent d'un drap ou d'une chemise ;
vers 11 heures, minuit, la fraîcheur nocturne relative pénètre et, sur ces organismes
en sueur, découverts imprudemment, en dépit des conseils et des ordres, les
organes abdominaux, brusquement refroidis, cessent de se défendre contre
l'infection" 106.
Les expériences de Pasteur n'avaient-elles pas démontré, depuis longtemps, les
méfaits du refroidissement ? C'est la poule, cette fois, qui avait parlé :
normalement réfractaire à la bactérie charbonneuse, la poule à qui on plongeait les
pattes dans un courant d'eau froide, perdait ses défenses naturelles et contractait la
maladie. Les médecins savaient d'ailleurs l'expliquer : "l'influence du froid sur les
capillaires cutanés et les muqueuses, qu'il rétrécit, refoulant ainsi le sang dans les
tissus, ralentissant aussi les cellules mobiles, immobilisant les cils vibratiles, a
depuis longtemps démontré que le refroidissement est une sérieuse cause seconde
de maladie" 107. Kelsch n'avait-il pas prouvé l'influence des saisons sur la
morbidité militaire 108 ? Et le docteur Lannelongue 109 avait d'ailleurs fait parler
ces spécialistes de la tuberculose que sont les cobayes : un lot abrité dans une cave
résistait mieux au bacille de Koch qu'un autre exposé à tous vents en haut d'une
montagne où l'air est pourtant si pur. Passant du cobaye à l'homme, le médecin-
major Brissard "étudiant le rôle des milieux à température variable sur le
développement de la tuberculose" 110 établit que les cavaliers, artilleurs et
fantassins, pourtant vigoureux, étaient plus fragiles que les secrétaires d'état-major
confinés dans leurs bureaux surchauffés.
Le type moderne de la caserne devint ainsi l'objet de toutes les craintes. La
rareté des fenêtres, auparavant criminelle, qui avait suscité de nombreuses
ouvertures dans les bâtiments nouveaux, exprimait désormais la norme à laquelle
tous aspiraient. Mesurons dans cette citation l'intensité incroyable du renversement:
"Un des plus grands inconvénients des types modernes est la grandeur exagérée
des ouvertures ; ces immenses baies qui font pénétrer des torrents d'air, des flots de
soleil sur les deux faces des chambres, sont exagérés, pensons-nous. A quoi sert
une ventilation si grande ?" 111 Le paradis anti-miasmatique était devenu un
pandémonium pastorien. Ni plus, ni moins.
Dans certaines casernes comme au Foirail de Rodez, un mur de refend sera
même construit pour protéger les habitants et leur permettre une aération qui, sans
cela, était impossible car trop violente : "Cette caserne, ainsi orientée, a toujours
donné,pendant la mauvaise saison, un chiffre très anormal d'affections de cause
météorologique ; elle est hantée, en permanence, par les fièvres éruptives, en
particulier par la scarlatine et les oreillons qui y ont fait des épidémies graves par
leur extension et dont la prolongation ne peut être attribuée qu'au défaut d'aération

105 Ibid., p. 30.
106 Ibid., p. 36
107 Ibid., p. 34
108 KELSCH, Traité des maladies épidémiques, 1894.
109 Professeur de médecine, très vite converti au pastorisme.
110 BRISSARD, "De l'influence des milieux...", 20/7/1905, cité par PETGES, op. cit. p. 34
111 Id. p. 36
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