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cours du XVIIIème siècle, quelques bâtisses, véritables voiries où l'on entassait les
hommes comme on pouvait, furent encore construites.
Puis beaucoup de casernes s'installèrent, comme les hôpitaux, les prisons et les
écoles, dans les anciens couvents que la nationalisation des biens du clergé et des
émigrés avaient rendus disponibles. Ces bâtiments, destinés à des communautés
d'hommes ou de femmes qui s'étaient retirés du monde, offraient des structures de
ségrégation propices au regroupement microcosmique.
Le type le plus ancien de casernement était celui de Vauban. Enfermant entre ses
quatre corps de bâtiments une cour carrée qui empêchait l'action purificatrice des
vents, il fut, avec les couvents, l'objet de toutes les attaques des hygiénistes du
XIXème siècle. Surnommées les grandes contaminatrices par les hygiénistes
militaires, ces casernes respiraient mal et leurs excrétions s'accumulaient avant de
se décomposer. Des êtres humains comme des lieux d'aisance émanaient des
vapeurs putrides qui imprégnaient leurs murs vétustes. Véritables éponges à
miasmes, ces architectures morbides rendaient leurs habitants malades. C'était
l'évidence, puisqu'on y mourait au même âge, presque deux fois plus que dans la
vie civile 78, alors que la juridiction biologique des conseils de révision vous
avaient déclarés aptes et a fortiori aptes à vivre.
Population d'élite, constamment surveillée et débarrassée de ce qui menaçait de
faiblir, l'armée tuait ses hommes en les plaçant dans les bâtisses conçues par
l'Ancien Régime. Le soldat des lumières y étouffait : "Dans les casernes il n'y a pas
de cheminées, les pièces qui sont chauffées ne le sont que par des poëles qui
consomment peu d'air. Les soldats vivent donc dans un air confiné qui ne se re-
nouvelle que par les fissures des portes et des fenêtres. Il est aujourd'hui reconnu
qu'il faut à chaque individu en santé, au moins 6 mètres cubes d'air neuf par heure.
Après deux heures de respiration, la capacité réglementaire affectée à chaque
homme est à peu près viciée. Et cependant, c'est dans ce même air que le soldat
reste plongé pendant 8 heures en été et pendant 14 heures en hiver. Tous les offi-
ciers et sous-officiers que j'ai consultés m'ont affirmé que le matin, en entrant dans
les chambres, on y est suffoqué. La viciation de l'air est appréciable principalement
par la quantité d'acide carbonique qui s'y développe par suite de la respiration, mais
elle l'est aussi par certaines émanations animales qui, bien qu'elles échappent à
l'analyse chimique, n'en sont pas moins funestes à la santé. Dans certaines
dispositions du corps, principalement sous l'influence de la maladie, le re-
nouvellement de l'air doit être beaucoup plus considérable. Ainsi, après
l'expérience acquise à l'hôpital Beaujon, il faut un renouvellement de 60 mètres
cubes d'air neuf par heure et par tête, pour qu'il n'y ait aucune odeur dans les
salles." 79
Si les corps malades fournissent davantage de matière putride, les corps sains
n'en sont pas pour autant économes et l'olfaction détecte le danger avec précision.
Or, dans les chambrées, l'odeur d'hommes succinctement lavés, rompus
d'exercice, qu'on encourageait à fumer pour détruire leurs poux, s'ajoutait aux re-
mugles des latrines.
Pendant tout le XIXème siècle, la conception des lieux d'aisance obsède
l'hygiéniste, qui voit dans le militaire une sorte de scatophile : "Ce n'est pas
seulement de la fosse que sortent les miasmes qui infectent les latrines ; ces
miasmes s'exhalent surtout des matières qui restent sur le sol même ou après les
murs qu'elles pénètrent à une certaine profondeur ; et il faut le dire : partout où il y
aura agglomération d'hommes, et particulièrement dans l'armée, on rencontre bon


78 En moyenne 18,6 décès pour 1 000 hommes dans l'armée et d'après les tables de mortalité de
DEMONFERRAND : 10,8 de 1817 à 1831 dans la vie civile, d'après BOUDIN, "Etat sanitaire,
etc.", op. cit., p. 307.
79 Id., p. 311.
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